9000 entrées, des tonnes de saucisses grillées, des litres de bière vendus par milliers… Cette année, le festival Au Foin de la rue a battu tous ses records d’affluence. Mais trêve de chiffres, parlons musique.

Le vendredi soir, c’est devant la petite scène qu’il fallait être. Parce qu’il y avait Fantazio. Fantazio l’aventurier, Fantazio le risque-tout, avec sa contrebasse et son gang d’allumés, son bruiteur dingue, sa fanfare cabossée… Direct, il a commencé sans prévenir, à coup d’hurlements et de distorsion, de discours hachés et de contrebarrisements… Puis ça a pris forme, une sorte de groove abîmé. Un long morceau, méconnaissable, totalement différent de sa version enregistrée. Les concerts de Fantazio sont uniques, ses chansons jamais pareilles, s’allongeant, se transformant soir après soir. Changements de rythmes et d’ambiances, coupures brutales, rythmes cassés, voix d’ogre ou de poupée… la musique de Fantazio déstabilise. Oh étonnement ! On se surprend à être surpris. Ca n’est pas si souvent. Mais c’est comme ça que la musique devrait être tout le temps ! Bien difficile de dire de quoi il s’agit, de chanson, de jazz, de rock…? On s’en fiche. Ce qui compte, c’est le rire, les sursauts, la danse un peu contrainte, que provoquent ces chansons sans refrain, ni couplet, ces petites créatures, fragiles et improvisées, toujours sur le fil, prêtes à se briser…
Punks comme Fantazio, les Burning Heads s’engagent totalement lorsqu’ils sont sur scène. Vrais et intègres, ils « sont » leur musique , leurs mots, leur colère… et personne d’autre. Leur punk rock, qui se teinte sur quelques chansons de pop ou d’émo, est droit et net, sans bavure. Propre. Du travail de pros. Leurs chansons, concentrées d’énergie, parfois très violentes, se prennent comme des coups de poings dans la tronche… Des baffes qui feraient plaisir. Mais quand, elles adoptent la souplesse du reggae, leurs guitares, encore un peu raides dans leurs docs martens, accouchent d’un dub mutant et mécanique, au groove énorme. Puis quand reprennent les morceaux punks, brefs et enchaînés à cent à l’heure, les jeunes se jettent rageusement dans le pogo, tandis que les vieux briscards hochent de la caboche, d’un air entendu…
Dernier groupe de la soirée, UHT° (toujours sur la petite scène) a le bon goût d’aimer les beats piqués au meilleur jazz des années 60, les scratches de trompettes bouchés et les ambiances feutrées… Bref, le son de ces bonnes vieilles compiles Ninja Tune de la grande époque (période « Funkjazzitical tricknology » ou « Flexistentialism »). Un hip hop electro chaud et tranquille, idéal pour clôturer une première soirée de festival, finalement pas si mal…

 

Le samedi, pas d’énormes surprises. Sergent Garcia et Les Hurlements de Léo, parfaitement calibrés, ont fait leur job. C’est festif, c’est bien fait mais désolé, chez moi, côté palpitant, y rien qui vibre… Meuh non, je ne suis pas un vieux grognon qui n’aime pas les groupes qui rameutent les foules. La preuve j’ai apprécié Debout sur leur Zinc. L’intelligence de leurs arrangements, la qualité de leur écriture, leur présence scénique… Leur musique va puiser ses influences dans la chanson française comme dans les musiques populaires des Balkans ou d’Europe du Sud, pour se donner une identité bien à elle, entre respect de la tradition et souci de modernité. Car la musique de Debout est dans son époque, et trouve un écho auprès d’un public souvent jeune, style « skateur-néo hippie », qu’on ne voyait pas, à priori, écouter cette musique.
L’autre agréable découverte de la soirée sera Plaster. Ces trois là détiennent un secret qui fait défaut à bien des musiciens electro : ils savent rendre vivante et scénique la musique électronique. Jamais complexe par pédantisme ni simpliste par paresse, leur electro alterne recherches sonores et passages dancefloor, pour le plaisir des oreilles comme des orteils. Mine de rien, ces petits gars de Montréal ont trouvé un équilibre quasi idéal, entre expérimentation et efficacité. Leurs morceaux toujours en mutation regorgent de trouvailles, de petites inventions réjouissantes. Ils semblent se perdre dans des méandres complexes et sans issues, pour déboucher soudain sur des mélodies imparables ou des beats à faire se déhancher Ozzy Osbourne ! La soirée touchant à sa fin, on regagnera notre couette heureux, un mix étrange de Fanzatio se superposant dans nos têtes aux mélodies de Debout sur le Zinc et aux beats de Plaster… De beaux rêves en prévision…