Au foin Fantazio s’en fout. Du top 50, des trompettes de la renommée, des festivals, de sa « carrière »… Punk dans l’âme, contrebassiste de squatt, musicien de rue, il écume depuis 13 ans les lieux de concerts les plus improbables passant des rades louches aux cocktails branchés… Fantazio vit comme il joue. Libre, comme sa musique inclassable et mouvante, jamais tout à fait la même selon les jours, les musiciens qui l’accompagnent… Quelques heures avant sa prestation déjantée au festival Au Foin de la rue, il nous accordait cet entretien. Le temps de dériver au fil d’une discussion tranquille, de voyager immobile dans un camion… à l’arrêt.

Tes concert ont la réputation d’être des moments à part, complètement improvisés… Quel rapport entretiens-tu avec la scène ?

C’est pour moi quelque chose d’à la fois très simple, en tout cas au début lorsque je jouais seul, et qui au fil des concerts est devenu très complexe et étrange. Comment se montrer, en faisant de cela un boulot, tout en ayant du recul, et sans obéir forcément à la demande, à l’attente des gens. Le public fait vite de toi un phénomène, un personnage auquel il aimerait que tu te conformes. Et puis nous ne sommes plus dans un monde où la musique est fonctionnelle, indissociable de la vie. Il a un rapport faux dès le départ. Faire de la musique en public, ça n’est pas naturel. La musique populaire n’existe plus chez nous, en tout cas pas au sens d’une musique remplissant des fonctions traditionnelles, comme elle peut encore le faire dans les pays de l’Est, où la musique est présente lors des fêtes, des mariages, des enterrements… En France, les musiciens, lors d’un mariage, ils assurent l’ambiance, l’animation… Pour beaucoup de gens, la musique est devenu un truc pour adoucir l’existence, un produit… Elle n’est plus là pour montrer la vie du doigt mais pour faire oublier le quotidien.

Tu évoquais l’évolution de ton rapport à la scène. En quoi et comment a-t-il a changé ?

Quand j’ai commencé à jouer, ce qui m’intéressait, c’était d’arriver dans des lieux où personne ne me connaissait, dans la rue ou dans des cafés… et de faire quelque chose qui allait me surprendre moi-même autant que les autres. Les choses se compliquent quand les gens reviennent, qu’ils apprécient et qu’ils ont une attente. Le défi pour moi, c’est d’arriver à rester frais malgré ça. C’est très important pour moi de continuer à me surprendre. Et puis c’est plus agréable pour les gens que chacun de mes concerts soient différents. Mon but, ça n’est pas de faire plaisir aux gens. Ca peut être bien, mais tu peux aussi donner de la violence et transmettre une force à travers la musique, et pour moi c’est différent de « faire plaisir ». « Faire plaisir », ça peut aussi vouloir dire flatter. Quand les gens tournent beaucoup et voient que ça marche, en général, ils ne font pas trop d’efforts pour se remettre en cause. Tout est mis en place pour que cela fonctionne comme cela. Il y a de plus en plus de festivals où les groupes jouent moins d’une heure. En une heure qu’est-ce que tu peux faire ? A part en mettre plein la gueule au public pour te faire voire, te faire connaître… Je regrette cette représentation permanente dont le seul objectif est de faire parler de soi…

Les groupes sont souvent pris dans un engrenage, une évolution systématique qui veut qu’ils jouent dans des salles toujours plus grandes, pour des cachets toujours plus importants…

Ça c’est terrible, je connais des musiciens qui font très attention à ça. Mais c’est un travail sur soi, sur son orgueil… Le monde des festivals par exemple est aussi hiérarchisé que le monde qui nous entoure. Nous avons la chance de ne pas fonctionner de manière traditionnelle. Nous n’avons pas de tourneur, ni vraiment de manageur, mais une personne que l’on connaît très bien et qui joue un peu ces deux rôles. Mais c’est du luxe. Tu prends l’exemple d’un tourneur traditionnel, lorsqu’il découvre un groupe, il commence par leur dire: « ok, au départ, vous ne faites que des premières parties, puis une fois que vous vous serez faits connaître, vous aurez le droit aux deuxièmes parties, ensuite vous aurez le droit à plus d’alcool dans les loges, puis après à la coke… » Chacun est libre d’entrer ou non dans ce système… mais ce fonctionnement crée des normes, des étalons qui sont imposés à tout le monde. Et cela devient très difficile de fonctionner différemment. On parle souvent de la liberté des musiciens. Tu es peut-être libre de fabriquer ta propre musique. Par contre, une fois que tu rentres dans le circuit, c’est très difficile de la retrouver.

Tu joues dans des lieux très différents les uns des autres… C’est une manière de préserver un peu de cette liberté ?

Oui, par exemple, je continue à jouer dans des petits salles, des cabarets, tout en faisant des festivals ou de plus grosses salles à côté. J’espère que quelque soit mon degré de notoriété, je parviendrai toujours à faire ça. Je me méfie du confort. Ne faire que des festivals toute l’année, ça ne me dit rien. Mais cela ne me gène pas si c’est de temps en temps et si c’est surprenant. Ensuite, un autre moyen de conserver une certaine liberté, c’est de jouer avec beaucoup de gens. Et c’est ce que j’essaie de faire le plus possible. De jouer à deux ou à trois, avec des musiciens très différents, des improvisateurs comme Denis Charolles ou René Lacaille, Bertand Belin ou Akosh…

Tu travailles tout de même avec un groupe fixe depuis quelques temps ?

Oui, parce que c’est très fatiguant de jouer chaque soir avec de nouveaux musiciens. Quand tu es en forme ça va. Mais lorsque tu es crevé, tu peux avoir des moments magiques comme des moments casse-gueules. Mais je doute tout le temps par rapport à ça. Par exemple, je n’ai jamais fait de listes avant mes concerts. Parfois, je me dis qu’être anti-liste, c’est aussi con que faire des listes tout le temps. Tout ce qui devient systématique est un peu bizarre. Donc en ce moment, je réfléchis à la création d’un spectacle avec une forme précise mais qui laissera toujours une grande part à l’improvisation et à l’accueil d’autres musiciens. Parce que j’ai besoin de rencontres. Dès que je bosse avec un nouveau musicien, ça me donne l’occasion de remettre en cause mon travail, mon écriture… C’est comme dans la vie, tu vas rencontrer quelqu’un qui va te donner un nouveau point de vue, sur toi, sur le monde… Pour moi, c’est essentiel. La vie est courte et la mort proche de nous en permanence. Il ne faut rien laisser passer. Je suis toujours frappé de voir à quel point on peut évoluer, comprendre, progresser au cours d’une vie… Pourtant, beaucoup de personnes vivent leur existence comme une fatalité. On passe à coté d’énormément de choses, de possibilités…

C’est ce qu’on ressent parfois, je trouve, en écoutant ta musique, comme si tout était possible, comme si une part d’inconnu s’ouvrait à nous…

Vraiment, ça me fait plaisir qu’on puisse ressentir çà en écoutant ce que je fais… C’est marrant que tu dises çà. Je réfléchis souvent au fait que malgré tout ce que notre civilisation a développée : la photo, les ordinateurs…, bref la technologie, tout le monde semble blasé. C’est sans doute pour cette raison que tant de personnes ont besoin d’authentique, de naturel, de simple… Même Ikea et Habitat misent tout là-dessus… La technologie nous donne l’impression que l’humanité est puissante, mais c’est la vie qui est puissante. Nous avons parfois l’impression que c’est l’homme qui a inventé la vie, alors qu’elle nous appartient pas.

Il est très difficile de qualifier ta musique. On y entend à la fois du hip-hop, de la chanson , du rock… Cela étonne souvent les gens. Mais n’est-ce pas logique au regard des milliers d’influences auxquelles nous sonnes confrontés aujourd’hui, par la radio, la télé, internet… ?

La musique est puissante lorsqu’elle entretient un lien fort avec une situation sociale. Le mouvement punk en Angleterre était puissant en 77 parce qu’il correspondait à une période particulière. Maintenant la musique punk est devenue une parodie. Il n’en reste plus que la carcasse, la représentation… Aujourd’hui tu as l’impression qu’on peut puiser dans d’immenses archives musicales et dire : « tiens, dans ce morceau je vais mettre un peu de hip-hop, puis un peu de de bossa nova, etc. » Je ne dirai pas que je suis ouvert musicalement, il y a des sons qui me touchent, point. A un certain moment, une musique naît dans un pays parce qu’elle a besoin de naître, et de fait cette musique est sincère. Quand l’acte est plus puissant que la représentation…

Tu sembles toujours avoir privilégié la scène au disque. Comment as tu envisagé l’enregistrement de ton récent premier album ?

Pour moi, la scène et le disque sont deux choses complètement différentes. D’ailleurs souvent, les gens me disent que le disque est décevant, moins déjanté, moins fantaisiste que mes concerts. Sur disque, il faudrait gravé des chansons créées uniquement pour ce support. Dans l’absolu, ce serait l’idéal… Un disque, c’est un objet mort, que tu écoutes chez toi. C’est une sensation bizarre de savoir que l’on va se retrouver chez les gens sans y être physiquement. Pour ce premier disque, on a décidé de travailler à notre échelle. Si tu signes avec un label, cela veut dire que des gens feront de la promo, travaillerons pour toi… C’était important d’apprendre à se démerder seul. Sans déléguer, sans qu’il y ait mille intermédiaires… Pour la distribution, on a choisi de travailler avec Co-errances, un réseau de distribution alternatif et coopératif. Mais bon, c’est aussi à double tranchant. Je les connais, ils ont une démarche respectable, ils sont sur le terrain, etc. Mais ceci dit, on pourrait prétendre que c’est élitiste aussi comme démarche… Qu’est-ce qui est le plus populaire ? Etre distribuer chez des petits libraires et des disquaires indépendants ou à la FNAC ? Difficiles de trancher. Le mieux sans doute, c’est encore de faire comme on le sent…