Comment parler du rock à Laval sans évoquer le bar des Artistes ? Les Artistes, C’EST le rock lavalllois ! C’est son âme, son coeur, sa maison… Le quartier général, le point de ralliement des musiciens. Et les Artistes, c’est Serge (dit le Barbu ou le Poil), capitaine du navire et figure incontournable de la mythologie rock’n’rollesque lavalloise. Depuis plus de vingt temps, le vieux pirate maintient le cap, contre vents et marées. Rock’n’roll toute !

[En mai 2014, Tranzistor fête son numéro 53. Un numéro spécial qui revient sur près de 15 ans de musiques actuelles en Mayenne. L’occasion aussi de « re-publier » des articles parus durant cette période, et faisant écho à l’actualité.
Alors que le n°52 du magazine consacrait son dossier aux petits lieux de diffusion, inauguration de la série avec un reportage sur le Bar des Artistes, publié en 2005, Tranzistor n°22]

 

Si on devait un jour bâtir un musée du rock lavallois, il faudrait reconstruire à l’identique le local de David « Tess » Tessier à Créazic (la « rock’n’roll high school » lavalloise, aujourd’hui intégrée à l’école nationale de musique), avec punaisées aux murs ses vieilles affiches des Why Ted et du festival des Éclats du rock… Et puis, dans ce musée, il faudrait mettre le bar des Artistes. Parce que là-bas, rien que dans les chiottes, y’a 20 piges d’histoire du rock local qui vous contemplent. Franchement, ça empêche presque de pisser d’avoir autour de soi toutes ces précieuses archives graffitées. Et ces vieux rideaux défraîchis qui cachent la devanture… Ces tables dépareillées, ces murs effrités, érodés par le frottement des milliers de corps qui se sont entassés là les soirs de concerts, dans ce lieu à peine plus grand qu’un couloir.
Ça lui plait à Serge de laisser vieillir son bar. Depuis qu’il a ouvert les Artistes, il n’a touché à rien: « je n’ai pas envie de faire des travaux, je le trouve très beau comme il est. Il vieillit tranquillement. Ça fait rock, j’aime pas le clinquant ».
Ici donc, pas de rétro toc ou de vieux chic. Tout est d’origine. C’est de l’authentique, du vingt ans d’âge, du qui sent le vécu, et qui met immédiatement à l’aise. « Aux Artistes, on est à la maison » confie Antony des k-driver. « On se retrouve tous dans ce lieu, son ambiance. C’est le seul bar rock de Laval. Tout ce petit monde a convergé spontanément ici, à cause des concerts et de la musique que passe Serge. Et puis, quand tu rentres, il n’y a personne pour te dévisager ou te regarder de haut. »

Car passé le décor, les Artistes, c’est aussi une clientèle, bigarrée et peuplée de personnages, parmi lesquels la silhouette dégingandée et charismatique de Bob, l’ex-chanteur des Why Ted ? « Un mec avec de l’or dans la voix » me répètent plusieurs musiciens… « J’ai des clients qui viennent ici depuis que le café est ouvert », raconte Serge, l’image rock des Artistes, ce sont les gens qui fréquentent le bar qui l’ont forgée. » Des jeunes punks en baggy aux vieux rockers en cuir clouté, la faune que l’on rencontre aux Artistes est mélangée, brassant les âges et les générations. Lorsqu’on s’étonne de cette mixité, peu courante dans ce genre de lieu, Serge semble surpris: « Ah ouais ? Pourtant c’est fait pour ça un bar. Moi, j’aime la diversité, le mélange des genres… La clientèle d’un café reflète souvent la personnalité de celui qui le tient. »

Le barbu VRP !

De la personnalité de Serge justement, on ne saura pas grand-chose… L’homme se montre peu bavard lorsqu’il s’agit de parler de lui-même. On apprendra tout de même qu’avant d’ouvrir les Artistes (en 1986), le Barbu était représentant ! En savon à barbe ? Difficile en effet d’imaginer Serge en VRP quand on connaît l’animal… Tombé dès 14-15 ans dans le rock’n’roll, avec Les Chaussettes Noires, les Chats Sauvages…, bref les trucs de l’époque, il découvre bientôt Iggy Pop, les Stooges, les Cramps… Dès lors, il s’ouvre de plus en plus. Du jazz à Beethoven, le bonhomme est éclectique même s’il reste « rock avant tout ».
Logique donc qu’à peine deux ans après l’ouverture du bar, il se lance dans l’organisation de concerts. Seul d’abord, puis à partir de 1992 avec l’asso La Fourmi Rouge (qui sera quelques années plus tard à l’origine du regretté festival des Éclats du Rock). Dès lors, le bar accueille deux concerts par mois et la liste des groupes qui ont défilent sur la petite scène des Artistes est impressionnante : None one is innocent, Burning Heads, Oneyed Jack, Watcha, Lofofora, Dyonisos, Natalia M King… et une sacrée palanquée de groupes locaux: des dinosaures des Blue Valentines aux gamins d’Harf Off Hearing. Car si un bon paquet de musiciens de la scène rock actuelle ont vu leur premier concert aux Artistes, un plus grand nombre encore y a fait ses premiers pas sur scène. « On est des enfants des Artistes. Pendant deux ou trois ans je venais tous les jours ici, se souvient Benjamin, le chanteur de Montgomery. C’est là qu’on a joué pour la première fois en public ».
Qu’ils soient lavallois ou pas, les groupes qui ont joué aux Artistes gardent tous un excellent souvenir de l’hospitalité sans limites de Serge. Bart des Sling69: « Il t’accueille comme si tu étais ton neveu. Il tutoie tout le monde, ses clients comme le contrôleur des impôts… » « Y a eu des soirées mémorables » confirme Guillaume des k-driver, l’œil brillant… Pour Serge, rien de plus normal: « C’est la moindre des choses de bien accueillir les groupes. On les reçoit comme on aimerait être accueilli. C’est normal, ça fait partie de la vie… »

Interdit de concert

Dernier survivant (avec l’Antidote) d’une époque où Laval comptait quasiment une dizaine de cafés-concerts (le Graffiti, le Louisiane, le Baladin, la Crypte, le Coucou… autant de lieux aujourd’hui disparus), le bar des Artistes vit constamment sous la menace d’une plainte qui le contraindrait à arrêter les concerts. « C’est complètement absurde, déplore Serge. Il suffit qu’une personne porte plainte pour tout mettre par terre et priver tout le monde de concerts ».
Depuis quelques années, pour éviter tout problème avec le voisinage, il avait décidé d’avancer l’horaire des concerts à 19h. Cela n’a pas suffi, au mois de novembre, la maréchaussée lui signifiait l’interdiction d’organiser tout concert sous peine de poursuite… Dégoûté, Bart, le chanteur des Sling69, résume bien l’avis général: « Je ne comprends qu’on puisse vouloir empêcher ce lieu de faire ce qu’il a toujours fait. Au contraire, tout le monde à Laval devrait être fier des Artistes, parce que c’est un lieu rare, unique pour la scène musicale locale. Les Artistes, ça nous appartient tous un peu ».