Pourquoi faire de la musique en milieu scolaire ? Version longue d’un interview avec GÉRARD AUTHELAIN, pédagogue, musicien, auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet, qui le chante soir et matin : « la musique a toute sa place à l’école ». Du primaire au lycée, état des lieux.

La musique à l’école, c’est une vieille histoire…

L’école de Jules Ferry, dès 1882, inscrit la musique dans les programmes scolaires. À cette époque, c’est la chanson qui est mise en valeur, et qui forme l’ossature de l’apprentissage, notamment par la pratique vocale. Il y avait des manuels de chansons où le meilleur côtoie le pire. Ces manuels s’inscrivent dans l’orientation générale de l’école républicaine, l’objectif étant de renforcer l’adhésion de toute la population jeune à la notion de nation avec l’idée de patrie, de travail, de progrès social. Certaines ont des thèmes bien précis : la morale, la propreté, forger de bons patriotes, le service de la France en allant jusqu’au sacrifice de sa vie…
Après 1945, dans le sillage des mouvements d’éducation populaire, sont nés les centres musicaux ruraux (CMR), qui ont été les premiers à inventer le concept d’animateur musical à l’école. Après une formation, les candidats allaient comme des missionnaires dans les campagnes initier les enfants à la musique. Certains conservatoires ont aussi commencé à constituer des corps de moniteurs musicaux. Mais ce qui va vraiment déclencher un renouveau de la pratique musicale dans les écoles, c’est l’invention en 1981 des centres de formation des musiciens-intervenants grâce à André Dubost. Il y a aujourd’hui neuf CFMI et environ 4000 musiciens-intervenants en milieu scolaire sur tout le territoire français.

Quelle est la fonction des musiciens-intervenants ?

Ils interviennent en classe primaire avec l’objectif de transmettre un patrimoine et une culture musicale – des musiques savantes à la chanson en passant par le rock -, et de permettre aux élèves de développer une pratique musicale où l’imagination et l’invention ont leur place. Pratique et apprentissage sont indissolublement liés dans leurs interventions : un enfant apprend en faisant. Les musiciens-intervenants sont souvent employés au sein d’une école de musique, ce qui leur permet d’être insérés dans le tissu musical et culturel local. Ils ont pour objectif de mettre en relation les écoles avec les multiples lieux, associatifs ou autres, où se pratique la musique. Ils sont des acteurs de terrain qui privilégient les pratiques concertées. Contrairement aux professeurs d’éducation musicale en collège qui relèvent du ministère de l’éduction nationale et qui sont souvent isolés au sein de leur établissement… Ces derniers ont aussi un programme à suivre, donc moins de liberté et d’autonomie.

On véhicule souvent une image péjorative de l’enseignement de la musique au collège : les élèves qui chahutent, la flûte à bec, etc.

Normalement, la flûte à bec, c’est fini. Et heureusement, parce que c’est un instrument très difficile, qui demande une grande maîtrise du souffle… Ça n’est pas parce que ça coûte trois francs six sous que c’est démocratique. On est souvent très injuste avec les professeurs d’éducation musicale au collège. Bien sûr certains sont fatigués, mais je pourrais citer des dizaines de professeurs qui sont passionnés par leur métier, mènent des tas de projets et font un travail de valeur. Cela dit, c’est vrai que leurs conditions de travail sont difficiles, parce qu’ils peuvent difficilement se déplacer à l’extérieur, qu’ils ont 500 adolescents à gérer dans la semaine, 25 à 30 élèves par classe, des contraintes horaires rigoureuses : 55 minutes pas une de plus pour ne pas empiéter sur le cours suivant…

Et quid de la musique au lycée ?

La musique au lycée est optionnelle. Et la diminution actuelle des postes d’enseignants à l’éducation nationale ne va sans doute pas dans le sens d’un développement de cette option. Quant aux dispositifs de l’État, type classe à parcours artistique et culturel, atelier de pratiques artistiques, etc., qui permettent de monter des projets culturels plus ponctuels, à tous niveaux de scolarité, ils ne sont quasiment plus financés. Si l’on veut monter dans un établissement scolaire une opération, un échange, une rencontre avec un artiste, il faut trouver un partenaire, une ADDM, une collectivité, un acteur culturel intéressé… Heureusement il y a des dispositifs nationaux ou régionaux comme Les Enfants de la Zique, Les Chroniques Lycéennes, Zebrock… Certaines collectivités mettent aussi en place des dispositifs favorisant les activités artistiques en milieu scolaire, et les centres culturels, salles de concerts, festivals, etc. ont beaucoup développé leurs actions en direction des scolaires.

Que répondre à ceux pour qui l’école doit d’abord former à un métier, et qui doutent de l’intérêt de la musique en milieu scolaire ?

Si l’on ne fait pas de la musique à l’école, il y a un grand nombre d’enfants, dans des proportions considérables, qui n’auront jamais accès à la musique, ou plutôt qui ne connaîtront que celle qu’ils entendent à la radio, la télévision, en fonction de l’écoute familiale ou avec les copains. Ce que diffuse la télévision ou la radio peut avoir de l’intérêt, mais tout le monde l’admettra, c’est très limité, notamment dans les esthétiques représentées. On risque ainsi de réserver la musique à ceux qui en ont les moyens. L’école est le premier lieu d’éducation populaire, parce que c’est un passage obligé pour tous les enfants de la nation. Ça n’est pas pour rien qu’après la guerre, on soit passé du ministère de l’instruction publique à celui de l’éducation nationale. On instruisait les gamins dans l’objectif de façonner une nation, avec une langue et une culture commune. La musique et la chanson était un vecteur pour donner une âme, des mots communs. Éduquer un enfant ne se limite à lui apprendre à compter, lire, etc., c’est l’ouvrir à la vie. Ce qui est fondamental, c’est d’apprendre à vivre et à être heureux. C’est ce que souhaite la plupart des parents pour leurs enfants. On voit naître dans les instructions académiques des notions telles que l’accompagnement éducatif. Si l’on veut que ces formules aient un sens, cela suppose de se redire en quoi la musique a de l’importance dans une vie humaine, et pas seulement pour la détente.

Et la musique contribue à cette éducation ?

Elle contribue à être sensible au beau, au vrai. Le psychanalyste Serge Tisseron explique par exemple que les liaisons neuronales se mettent en place dès deux ans par l’éducation aux cinq sens. L’éducation à la sensibilité fait partie de la construction d’un enfant et façonne sa personnalité. Et pour moi, la musique, c’est d’abord ça : une éducation à la sensibilité. J’insiste aussi beaucoup sur le fait que les enfants jouent pour d’autres, qu’ils présentent leur travail en public, parce que la musique, c’est un acte de générosité, c’est apprendre à donner. Et puis, tous les enseignants l’observent, cela aide sur le plan comportemental. Des gamins complètement déstructurés sont capables quand ils font de la musique de se concentrer de manière étonnante. Mais ça ne doit pas être la raison principale d’une initiation musicale. Il ne s’agit pas d’instrumentaliser la musique.

Quelle place occupent les musiques actuelles dans ce paysage ?

Dans les programmes officiels, il y a maintenant une mise en valeur de la chanson et des musiques amplifiées. En 2007, Jimi Hendrix était au programme de l’option musique au baccalauréat. En termes de pratique, dans un collège avec une classe de 30 adolescents, difficile d’avoir 30 guitares, 30 amplis… Or les technologies numériques offrent des possibilités nouvelles. Avec la maison d’édition « Mômeludies », nous travaillons par exemple sur un programme, qui permet en classe d’aider les élèves à composer sur leur ordinateur avec des logiciels libres, à partir notamment de samples… Par ailleurs, la chanson occupe une place centrale dans l’éducation musicale. Elle balaie tout le secteur musical, que ce soit la musique ancienne jusqu’à l’electro, le rock… C’est un format court, dont on cerne facilement les tenants et les aboutissants. La chanson est un lieu de métissage, entre verbal et non verbal, texte et matière sonore, acoustique et traitement électronique. Et on peut l’aborder même sans accompagnement musical ou avec une instrumentation très simple. C’est totalement démocratique. De même que la pratique de l’électroacoustique a obligé à réinventer un autre rapport à l’écriture, les musiques actuelles invitent à un autre type d’analyse et donc d’écoute. Le fait qu’elles se déploient dans un espace démocratique obligent tous les pédagogues (et les musiciens intervenants y sont particulièrement préparés) à positionner de façon nouvelle la manière de faire entrer des enfants dans des mondes sonores qui ne sont pas toujours familiers aux adultes.

À lire
Gérard Authelain, A l’école, on fait musique, éditions Van de Velde.