Après une dizaine de livres pour les adolescents, et 15 ans d’absence, Michel Le Bourhis signait en janvier dernier son premier roman de littérature générale. Malgré son point de départ tragique, « Maman dort » est un récit lumineux, porté par l’humanisme et la profonde empathie de son auteur.
On ne sait plus qui a commencé. Mais qu’importe… Ce qui est certain c’est qu’il a suffi de quelques minutes pour que le tutoiement s’impose (pour l’interview, on conservera tout de même le « vous » radiophonique de rigueur). Il faut dire que Michel Le Bourhis sait mettre à l’aise. Spontanément familier et chaleureux, il nous accueille avec simplicité dans sa maison, perdue au fin fond de la cambrousse du Nord-Mayenne, battue par des pluies diluviennes en ce jour de février. Regard bleu acier et voix grave de fumeur, l’homme est prolixe et s’ouvre à nous avec générosité, revenant en détails sur son parcours, son rapport à l’écriture, la manière dont ses livres naissent et se construisent… Un « bon client » comme on dit en radio, mais qui ne verse jamais dans la suffisance ou le bavardage autosatisfait.
Bien au contraire, Michel Le Bourhis fait partie de « ces gens qui doutent », chers à la chanteuse Anne Sylvestre. Lorsqu’on lui confie avoir aimé son dernier livre, le jeune sexagénaire avoue que cela le rassure, tout comme l’a rasséréné la critique très positive publiée quelques jours auparavant dans Libération. Avec une sincérité touchante, il confesse parfois douter de la qualité de ses livres. Lui qui écrit, dans son dernier roman, à propos d’un personnage d’écrivain qui lui ressemble beaucoup : « il écrivait peu désormais comme si […] cette activité avait de moins en moins de sens. Il avait d’ailleurs confié à un journaliste qu’il avait dit tout ce qu’il avait à dire à ‘ces fichus adolescents’ ».
S’adressant effectivement le plus souvent aux ados, la dizaine de livres qu’il a publiés en près de 30 ans mettent en scène des jeunes garçons (ou filles) en prise avec leurs fêlures, contraints d’affronter les sales tours que nous joue parfois la vie. Fasciné par cet âge clé, synonyme de sortie de l’enfance, de métamorphose et de transformation de soi, il n’a cessé dans ses livres d’envoyer à ses jeunes lecteurs un message d’espoir : « accrochez-vous, il y a une lumière au bout du tunnel ».
Planche de salut
S’il revient toujours à l’adolescence, sans doute est-ce aussi parce que, de son propre aveu, Michel Le Bourhis a mal vécu la sienne. « Toutes choses étant égales », l’écrivain compare sa trajectoire à celle d’Annie Ernaux, auteure qu’il tient en haute estime. Même enfance dans un milieu populaire où il n’y avait pas de place pour les livres ou la musique, et où rien ne le destinait à la littérature. Et puis un déclic, une rencontre, un hasard qui fait surgir le désir de s’extraire, de s’émanciper… La « bonne fée » de Michel Le Bourhis sera un prof de français, rencontré au lycée et devenu un ami depuis (« c’est à lui que j’ai fait lire ma première tentative de roman, écrit à l’âge de 19 ans »). Avec ce prof, il accède à un monde nouveau, d’une richesse insoupçonnée, qu’il n’a jamais cessé depuis de parcourir.
La littérature sera sa planche de salut. Ainsi que la musique qu’il découvre lors de ses années de fac : Bob Dylan, Neil Young, Van Morrison mais aussi les très littéraires Hubert-Félix Thiéfaine (« j’ai dû le voir près de 40 fois en concert »), Gérard Manset et Yves Simon. Sa « Sainte Trinité », à laquelle il voue une admiration « indéfectible ».
À la fin des années 80, il réalise, en travaillant en tant que pion dans un lycée, qu’il aime être au contact des adolescents. Le métier d’enseignant l’attire. Il y voit l’opportunité de de rendre à l’école ce qu’elle lui avait donné, en œuvrant à son tour à l’émancipation des élèves. Il décroche le Capes en 1992 et sera d’abord prof documentaliste, avant d’enseigner le français dès 2002. Aujourd’hui, plus de 30 ans d’enseignement ne semblent pas avoir émoussé ses convictions, ni son bonheur de travailler auprès des ados. « Quand on choisit de faire ce métier, on se fait régulièrement bousculer dans nos certitudes et c’est salvateur. »
La cour des grands
Lors de ses premières années de documentaliste, il découvre la richesse de la littérature pour adolescents. Les rayonnages du CDI, où il s’ennuie ferme, sont remplis de romans jeunesse, dont la qualité n’a rien à envier à celle de la littérature générale. Pourquoi ne s’y essayerait-il pas ? Il publie son premier roman en 1997. Suivront 11 livres, tous épuisés aujourd’hui, parus aux éditions Flammarion, Seuil jeunesse ou Rageot, et dont le dernier, Une putain de belle nuit, sortira en 2010.
15 ans passeront avant la parution, en janvier 2025, de son dernier roman, Maman dort. 15 ans pendant lesquels Michel Le Bouhris n’a cependant jamais arrêté d’écrire. Désireux de tourner la page de la littérature jeunesse, il explore alors de nouvelles voies, s’attelant notamment à un roman de plus de 500 pages, s’adressant un public adulte, mais qui reste inachevé.
Back to the basics : il reprend en parallèle l’ébauche, commencée 10 ans plus tôt, d’un roman qu’il destine aux adolescents. Son éditrice chez Rageot, à qui il envoie le texte, est convaincue de sa qualité. Mais pas de doute, selon elle, c’est aux adultes que s’adresse ce récit, qui deviendra Maman dort. Le livre sera finalement publié aux éditions JC Lattès, dans la catégorie « littérature générale ». « Me voici entré dans la cour des grands », sourit l’auteur.
C’est un fait divers, survenu en 2003, qui, troublant profondément l’écrivain, déclenchera l’écriture de Maman dort. Deux petites filles, de 3 et 5 ans, sont découvertes seules chez elles. À l’étage de la maison, leur mère, qu’elles croient endormie, est morte depuis une dizaine de jours. Le caractère « impensable » de ce fait, pourtant réel, éveille chez l’auteur l’envie de comprendre, de sonder les profondeurs de la faille qu’entrouvre ce « drame ».
« J’ai utilisé le mot drame », écrit-il dans la dernière partie de Maman dort, mise en abîme qui vient conclure magistralement le récit. « Reste à préciser ce dont on parle : la mort de Lise, la mère des deux petites, ou le fait que celles-ci sont restées seules plusieurs jours dans leur maison pour des raisons indéterminées, persuadées que leur maman dormait ? À moins que ce ne soit la conjugaison de ces deux éléments qui donne à cette histoire une dimension tragique… ».
« J’ai aimé ces enfants, ces adolescents dont j’ai partagé, le temps de l’écriture, les douleurs, les chagrins, les espoirs et les écorchures. »
L’écrivain tente au départ de mener l’enquête, pour en savoir plus sur les circonstances de ce drame. En subsistent quelques traces, dans les premières pages du roman. Mais face aux maigres informations qu’il parvient à réunir, il renonce à cette approche documentaire, pour embrasser la voie, plus féconde, de la fiction.
Le récit nous téléporte 6 ans après les faits. Vivant avec sa sœur dans une famille d’accueil aimante, Angélique, l’ainée, est devenue une adolescente, confrontée à des problèmes et des préoccupations d’ado : une petite sœur qui l’agace autant qu’elle l’émeut, une addiction au sucre qu’elle peine à contrôler, un corps « trop rond » qui la complexe, et l’attrait naissant qu’elle ressent pour les garçons.
Le récit adopte alors son point de vue, suivant le fil de ses pensées et des pages de son journal intime. Les tourments qui traversent l’adolescente, la délicatesse attentionnée de ses parents adoptifs, le lien complexe et complice qui l’unit à sa sœur – jusqu’aux pets sous les draps qui les font rire aux éclats –, tout sonne parfaitement juste.
Et cette frappante justesse réside sans doute dans la profonde empathie et l’amour que l’auteur porte à son personnage. Car c’est à coup sûr Michel Le Bouhris qui parle à travers la voix du personnage de romancier de Maman dort : « J’ai aimé ces enfants, ces adolescents dont j’ai partagé, le temps de l’écriture, les douleurs, les chagrins, les espoirs et les écorchures. J’ai aimé me glisser dans leur tête à la première personne, imaginer les mots, les phrases de leurs colères ».
Bien sûr le « drame » initial plane entre chaque ligne, mais ici l’amour, « l’insoutenable légèreté de l’être » et l’irrésistible force de vie des enfants l’emportent sur la gravité et la tristesse. Alors qu’autour de nous, grandit un climat de haine et de guerre, et que semble vouloir s’imposer la sombre loi du plus fort, Maman dort regarde notre côté lumineux, ces gestes et ces mots qui disent notre humanité, cette faculté d’amour et de solidarité qui définit l’espèce humaine avant tout. Et qu’incarnent la sororité protectrice d’Angélique, l’affection juste et respectueuse de sa famille d’accueil, la compassion qui envahit tout un chacun, qu’il soit pompier ou médecin, lorsqu’il découvre deux fillettes abandonnées…
Avec ce nouveau roman, Michel Le Bouhris entre donc dans « la cour des grands », et ne devrait pas attendre 15 ans pour publier son prochain livre. Un nouveau récit pour adolescents, « le dernier » jure-t-il, est en cours de relecture par son éditeur. Il planche par ailleurs sur un « roman noir », qui, il l’espère, trouvera bientôt une maison d’édition. Dans deux ans, il rendra son tablier de prof de français au collège de Lassay-les-Châteaux. Lui, à qui le métier laisse peu d’espace pour écrire, en aura bientôt tout le loisir. Et il compte bien profiter de l’inspirante solitude que lui offre sa chère cambrousse, à l’abri de l’éreintante rumeur du monde.
Playlist
1- Hubert-Félix Thiéfaine - Les dingues et les paumés
2- Van Morrison - So quiet in here
3- Tom Waits – Martha
4- Gérard Manset - Deux voiles blanches
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