Ils se disent mécano ou soignant. Ces professionnels insufflent une seconde vie aux instruments à vent ou à soufflet qu’ils réparent. Portraits.

Atelier ventastique, Arnaud Aubert. Photo: Arnaud Roiné

© Arnaud Roiné

Le Souffle du dépliant

Arnaud Aubert

Pour découvrir l’atelier de ­Arnaud ­Aubert, il faut se rendre chez lui, à Loiron-Ruillé, parcourir une rue goudronnée qui devient chemin de terre. « À la cabane rouge, c’est à droite », précise le réparateur trentenaire. Arnaud consulte à domicile : « Je me suis installé ici, en pleine campagne, en juin 2016. C’est une rencontre avec Clément Guais, facteur d’accordéon en Mayenne, qui a fait germer l’idée de réparer des accordéons. Clément me disait qu’il était monopolisé par les commandes de fabrication et qu’il n’avait plus le temps de réparer. J’y ai vu une opportunité et j’ai foncé. Je suis musicien depuis toujours. Clavier, guitare, flûte, je suis un vrai touche-à-tout. Ma rencontre avec l’accordéon diatonique est plus tardive mais ça a été un vrai coup de foudre. L’instrument ne m’a plus quitté depuis. J’en ai joué plusieurs heures quotidiennement. Lorsque je pratique un instrument, j’ai besoin de le connaître parfaitement, ça m’aide à approfondir ma relation avec lui. Ma pratique du diatonique m’a aussi permis de bien connaître le milieu de la musique trad en Mayenne. C’est en m’appuyant sur ce réseau que j’ai pu démarrer mon activité de réparateur d’accordéon. Ma structure est de taille modeste mais elle me permet de vivre. Je répare tous types d’accordéons, diatoniques ou chromatiques. Et j’ai l’occasion d’exercer toutes les facettes du métier : entretien, réparation, accord… Mais j’ai une tendresse particulière pour la restauration. L’accordéon est pour certaines familles un trésor qui se transmet de génération en génération. C’est chouette de contribuer à la sauvegarde de ce patrimoine. » 

 

Atelier ventastique, Guillaume Hubert et Fréderic Coquemont sont réparateurs et vendeurs d'instruments à vent à Chateau-gontier (53). Photo: Arnaud Roiné

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L’Atelier ventastique

Guillaume Hubert et Frédéric Coquemont

Guillaume et Frédéric sont tous deux penchés sur leurs établis installés au fond de leur boutique, ouverte en 2017 au centre de Château-Gontier-sur-Mayenne. Le silence règne étonnamment dans ce lieu dédié à la musique. Les deux compères sont concentrés, comme aspirés par les instruments à vent qu’ils ont entrepris de bichonner. Les deux réparateurs sont unanimes : « Ce qui compte avant tout, c’est de rendre le client heureux, entendre jouer d’un instrument par son propriétaire après qu’il soit passé entre nos mains est une vraie récompense. »
C’est Guillaume Hubert qui est à l’origine de la création de L’Atelier ventastique. Après avoir vécu et travaillé en tant que réparateur d’instruments à Angers puis à Clermont-Ferrand, ce saxophoniste amateur, Castrogontérien d’origine, a senti le besoin de revenir aux sources et de se rapprocher de sa famille : « Je suis revenu en Mayenne en 2013. Comme je ne trouvais pas de travail dans ma spécialité, j’ai décidé de me lancer. J’ai d’abord installé mon atelier chez mes parents pour tâter le terrain, même si je savais qu’il y avait du potentiel, car beaucoup de musiciens devaient sortir des frontières du département pour faire entretenir leurs instruments. »
« Ce métier me passionne depuis que je l’ai découvert par ­hasard alors que j’étais au collège. Réparer des instruments exige avant tout de la patience, de la précision mais aussi beaucoup d’humilité car on n’a jamais fini d’apprendre. Il y a d’abord énormément d’instruments à vent différents, mais aussi un nombre infini de pannes possibles. Il faut sans cesse se remettre en question, s’auto-former ou se former avec d’autres. »
Frédéric, ancien stagiaire devenu employé de l’atelier, abonde : « Quand j’ai démarré mes stages après quelques mois de formation, je me suis rendu compte que je ne savais rien, et que tout restait à faire. Pendant de longues semaines, je me suis demandé si je n’allais pas renoncer tellement ça me paraissait insurmontable. Et puis, petit à petit, la passion a repris le dessus et je me suis accroché. Je dois me remettre en cause chaque jour pour chaque instrument et c’est bien. En ce moment c’est la flûte, je commence à être à l’aise mais je pense qu’il va me falloir encore un an pour être au point. »
Si au départ l’idée d’ouvrir un magasin de vente et de réparation d’instruments à vent en Mayenne a suscité la surprise voire l’incrédulité, aujourd’hui la petite entreprise de Guillaume ne connaît pas la crise : « Je me suis vite aperçu que le département était très actif culturellement. Les conservatoires, les écoles de musique ainsi que le dispositif Orchestre à l’école soutenu par le Département, toutes ces initiatives font que la musique est très pratiquée. Le réseau que j’ai créé avec tous ces pratiquants m’a permis d’ouvrir ma boutique et même d’embaucher un employé, ce que je n’espérais pas. Fred est avec moi depuis deux ans et je me rends compte que faire ce métier à deux, c’est encore mieux. On s’enrichit, chacun apporte sa sensibilité, son expérience. Sans parler de la bonne humeur. »

 

Franck Armengol est réparateur d'instruments à Vent à son domicile d'Évron, en Mayenne.

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La Clef des chants

Franck Armengol

Franck ­Armengol accueille ses clients dans son petit atelier installé au rez-de-chaussée de la maison familiale, lovée au cœur d’Évron. « Je n’avais pas prévu de venir vivre en Mayenne, comme je n’avais pas prévu non plus de devenir réparateur d’instruments à vent. C’est un concours de circonstances qui est à l’origine de ces choix. C’est l’amour qui m’a amené à Évron. Pour la réparation, c’est une série de discussions avec des amis, le fameux : “tu devrais essayer ça !” Je me suis dit : “et pourquoi pas ?” Gamin, je jouais du saxo, que je pratique toujours, et je me souviens de mon attirance pour l’atelier de fabrication de bateaux de mon grand-père, qu’il fermait toujours à clef. La réparation me permet d’associer mes deux inclinations, pour la musique et le travail manuel.
Je me suis donc installé en 2017, après un an de CAP à l’Itemm et six mois d’expérience dans un atelier nantais. Aujourd’hui, je cumule ce travail avec celui de directeur de centre de loisirs pour gagner ma vie correctement. Mais je trouve un équilibre dans cette double activité. Ce qui est passionnant, c’est de permettre à des musiciens professionnels, comme la saxophoniste Céline Bonacina, de garder ce lien charnel qu’ils entretiennent avec leur instrument. Et pour les moins expérimentés, je me dis qu’un instrument bien réglé peut leur permettre d’ouvrir des portes. Je suis un mécanicien, c’est tout. Le plus important pour moi, c’est de conserver la confiance que me portent les musiciens. »

 
Nadège Lefeuvre-Nicolas © Arnaud Roiné.jpg

© Arnaud Roiné

L’Atelier des accordéonistes

Nadège Lefeuvre-Nicolas

«Je suis complètement gaga d’accordéon ! Si je m’écoutais, j’adopterais tous ceux que je croise. J’ai l’habitude de raconter que je suis tombée dedans quand j’étais toute petite, ma maman était professeure d’accordéon à L’Huisserie où je suis née. »
Musicienne depuis toujours, cette quarantenaire, qui se dit très timide, ne se destinait pourtant pas particulièrement au métier de réparatrice d’accordéon : « C’est un accident du travail qui est à l’origine de ma nouvelle vie. Je travaillais dans une grande surface et je me suis gravement blessée au dos. La ­reconversion était inévitable et c’est pendant ma rééducation que j’ai entendu parler de l’Itemm, une école des métiers de la musique au Mans. L’idée a fait son chemin et je me suis lancée avec deux certitudes : ça ne pouvait être que la réparation d’accordéon et forcément en Mayenne où j’ai mon réseau.
Je me suis installée à Ahuillé tout de suite après avoir obtenu mon diplôme en 2017. Finalement, cet accident a peut-être été ce qui pouvait m’arriver de mieux, un mal pour un bien comme on dit. Je suis épanouie, je vis ma passion pleinement. Même si je dois jongler avec un second emploi pour vivre décemment, je commence à récolter les fruits de mon travail de réparatrice. Je parviens à me verser un salaire depuis début 2020. Le moment est proche où je pourrais consacrer tout mon temps à dorloter ces instruments que je vénère. »

 


Article paru dans le dossier « Dans l’atelier des luthiers » du numéro 69 du magazine Tranzistor.