37 événements annulés, une perte en retombées économiques estimée à 10 millions d’euros… La pandémie de Covid-19 a cruellement décimé les rangs des festivals du 5.3 en 2020. Mais quelques irréductibles résistent, avec l’espoir de sauver l’été et la rentrée. Enquête.

La fête est reportée à… l’année prochaine ! Le 13 mars, le festival Reflets du cinéma est le premier du département à déclarer forfait, Covid-19 oblige. Il faudra près d’un mois, et une allocution présidentielle, pour que l’hémorragie d’annulations se propage.
Dès lors, c’est l’avalanche. Au 14 avril, tous les festivals organisés jusqu’à la mi-juillet avaient annoncé qu’ils jetaient l’éponge. Des 3 Éléphants à Au Foin De La Rue, des Mouillotins aux Ateliers Jazz, d’Un singe en été à Ça Grézille, en passant par Les Bouts de Ficelles, La Chalibaude, le Festid’Al, L’Oriolet, Pan ! ou Un dimanche avec Brassens… Une hécatombe.
« On a voulu y croire jusqu’au bout ». Aux manettes d’Un singe en été et de Terra Incognita, Steven Jourdan résume bien l’état d’esprit de nombreux festivals, qui au début de la pandémie, espéraient encore pouvoir maintenir leur édition 2020. Les uns comptant sur leur date lointaine, les autres sur la possibilité d’imaginer une version corona-compatible de leur manifestation. Un espoir qu’ils caressaient d’autant plus ardemment que le ministère de la Culture entretenait, au grand désarroi de beaucoup, la confusion quant à la possible organisation des « petits festivals ».
« Dès mi-février, j’ai donné pour consigne de mettre en stand-by tous les contrats et devis en cours, se souvient Yann Bieuzent, fraîchement arrivé à la tête de la salle de concert Le 6par4 et des 3 Éléphants, dont l’édition 2020 devait se tenir du 13 au 17 mai. Puis avec le confinement et l’aggravation de la pandémie, nous avons commencé à plancher sur un plan b ». Une version bis du festival lavallois avec des concerts « redispatchés » sur des lieux aux capacités d’accueil limitées, dans les bars, au 6par4 ou au Théâtre.
Mais rapidement, l’équipe voit « l’inéluctable lui tomber sur la tête. Tout ça s’est réglé à distance, à coup de visios, textos… L’émotion était sensible pour les salariés comme pour les bénévoles de l’asso, qui ont été très présents. C’est un an de boulot qui tombe à l’eau ». L’équipe « fait le deuil » de cette édition avortée en racontant au quotidien sur son site web le montage et le déroulé des 3F, signant un témoignage précieux sur les coulisses de ces entreprises un peu folles que sont les festivals.

« Les crises peuvent être propices à l’invention de nouvelles manières d’agir » Yann Bieuzent, festival Les 3 Éléphants

Larmes au Foin

Du côté des grands rendez-vous de juin et juillet, beaucoup comprennent vite que l’affaire est pliée. « Je bosse dans le secteur du bâtiment. Quand j’ai vu les mesures que nous devions appliquer sur les chantiers et sur quelle durée, j‘ai réalisé dès fin février que le festival était compromis, soupire David Boul, président de L’Oriolet, qui tablait sur 3000 entrées les 19 et 20 juin à Vaiges.
Constat identique pour Lisa Bélangeon à Au Foin De La Rue. La coordinatrice générale du festival dionysien, programmé les 3 et 4 juillet, rencontre cependant l’incrédulité des bénévoles. Très impliquée, l’équipe bénévole travaille au quotidien avec les salariés de l’association. « Mais avec le confinementles liens se sont distendus de fait ». La vision diffère entre les salariés, qui bientôt « n’en peuvent plus de travailler sur un festival qui n’aura pas lieu », et des bénévoles refusant de baisser les bras face à un minuscule virus menaçant de réduire à néant le nouvel élan impulsé par le Foin. Après « une édition 2019 compliquée », l’équipe avait en effet bûché « de façon acharnée » pour remettre à plat son projet et proposer une nouvelle formule, pour mieux répondre aux attentes du public et aux évolutions du paysage festivalier, en pleine mutation. « Il y avait une fierté et une impatience à montrer qu’on avait su rebondir et trouver les bonnes réponses. D’autant que nous avions dix semaines d’avance sur les préventes de billets », souffle Lisa.
Le 13 avril, douche froide pour certains : les événements accueillant plus de 5000 personnes sont interdits jusqu’à mi-juillet. « Nous avons fait un apéro-visio le soir même, raconte Lisa. Il y a eu beaucoup de larmes. Mais au moins les choses étaient claires ». Un soulagement, après plusieurs longues semaines de doutes et « d’absence totale d’écoute de l’État ».

Logique solidaire

Bilan des dégâts : 37 événements annulés*. Soit près de 60% des manifestations du 5.3 impactées. Avec une acuité très différente selon les cas, le bouillonnant vivier des festivals en Mayenne (lire notre dossier à ce sujet) se caractérisant par sa très grande diversité.
« Les festivals les plus fragilisés sont en majorité ceux qui s’appuient sur des équipes salariées, analyse Yann Bieuzent. « Dans notre cas cependant, la situation ne met pas en danger la santé financière des 3 Éléphants, ni du 6par4. Les collectivités, État, Région, Département et Agglo, ont rapidement confirmé le maintien de leur soutien financier en cas d’annulation ».
Ces subventions, ajoutées au fait que peu de dépenses étaient engagées, permettent de juguler l’absence de recettes de billetterie. Et d’envisager la rémunération des régisseurs intermittents prévus – soit 100000 euros de dépenses –, ainsi qu’une indemnisation des artistes programmés et des prestataires du festival : technique, sécurité, restauration… « Nous avons tâché de tenir compte de la situation de chacun, et de soutenir financièrement ceux dont la survie était en question, détaille Yann. C’est notre rôle. Nous recevons de l’argent public pour construire un festival. Pas pour constituer un bas de laine en cas de non-dépense ». Une logique solidaire que beaucoup ont jouée, en fonction de leurs capacités financières. En complément du report de sa programmation en 2021, À travers chant a ainsi indemnisé, à hauteur de 40% du cachet prévu, les artistes que le festival cosséen devait accueillir du 16 au 22 mars dernier.
À Au Foin De La Rue aussi la solidarité a prévalu. Même s’il a fallu d’abord garantir la survie de l’association, encore incertaine il y a quelques semaines, malgré le bel élan de soutien qu’a suscité l’annulation du festival. « Plus 7000 euros ont pu être récoltés via un fonds de soutien que nous avons mis en place. Ça fait chaud au cœur », se réjouit Lisa Bélangeon, qui ajoute : « Notre modèle économique repose sur un taux d’autofinancement de 85%. Un autofinancement qui inclut 100000 euros de partenariats et mécénats privés… Vu la situation, nous n’avons pas voulu solliciter les entreprises qui nous soutiennent habituellement. Au final, 5% ont maintenu leur participation ».

 

Le Chainon Manquant

Festival Le Chainon, septembre 2019 © Florian Renault

Pas corona-compatibles

Même refrain pour nombre de festivals qui, comme Les nuits de la Mayenne, ont vu s’envoler la quasi-totalité de leurs recettes liées aux partenariats privés : « Si on ajoute à cela des recettes prévisionnelles de billetterie divisée par deux ou trois en raison des mesures de protection sanitaire, le maintien s’est vite avéré injouable », témoigne Coralie Cavan, directrice du festival de théâtre itinérant, qui devait se dérouler du 15 juillet au 6 août.
Qui plus est, « les notions de rassemblement, de proximité et de convivialité qui définissent nos événements sont difficilement compatibles avec l’idée de distanciation physique, de gestes barrières… » complète Steven Jourdan, qui a dû se résoudre à annuler le festival Terra Incognita, prévu fin août à Carelles.
Moins risquée et incertaine, l’option du report s’est donc imposée pour beaucoup. Avec très souvent, à l’image des Nuits de la Mayenne, de L’Oriolet, d’Au Foin De La Rue ou du VandB fest, la volonté de proposer en 2021 tout ou partie de la programmation mitonnée pour 2020.
Si une majorité de festivals, et notamment ceux portés par des bénévoles (soit environ 60% des festivals en Mayenne) ont limité la casse, les conséquences économiques de ces annulations en cascade impactent brutalement leurs territoires d’implantation, et tout particulièrement les partenaires directs des festivals : prestataires techniques, entreprises de sécurité, hôtels, restaurateurs, brasseurs…
Les 3 éléphants chiffrent à 1 million d’euros les retombées économiques dont a été privé le territoire par son annulation. Un singe en été, à Mayenne, jauge à près d’une centaine le nombre de salariés mis au chômage par l’annulation de ses dates de juin. Au niveau national, l’enquête SoFest !, dirigée par les chercheurs Emmanuel Négrier  et Aurélien Djakouane, estime à entre 2,3 et 2,6 milliards la facture de l’annulation des festivals en raison du coronavirus.
Si l’on se base sur les hypothèses de calcul de cette étude, on pourrait évaluer le manque à gagner pour le département en terme de retombées économiques à près de 10 millions d’euros**.

« On nous a demandé de nous réinventer, on l’a fait ! » David Seurin, festival Les Entrelacés

Prises de risque

1er juin 2020. Après de semaines d’incertitudes, un nouveau décret assouplit et clarifie enfin les règles sanitaires à respecter dans les salles de spectacle. « C’est seulement à partir de cette date que nous avons pu commencer à réfléchir concrètement au maintien du Chainon », raconte Kévin Douvillez, directeur artistique du festival lavallois, qui devrait se dérouler comme prévu du 15 au 20 septembre.
« On s’est longtemps demandé ce qu’on allait faire, acquiesce David Seurin, salarié des Entrelacés. Convaincu qu’il faudrait « s’assoir sur les partenariats privés et les recettes de bar et restauration » et tenant compte des inconnues qui subsistent en matière de réglementation (aucune directive sanitaire claire existe aujourd’hui pour les manifestations « debouts » de type concert ou théâtre de rue), l’équipe du festival d’art de rue décide « d’inventer une nouvelle formule. On nous a demandé de nous réinventer, on l’a fait ! », ironise David, avec un brin d’amertume.
Exit donc Les Entrelacés en 2020, bonjour Kultur park. Une réserve accueillant « une poignée de spécimens d’une espèce aujourd’hui disparue, l’artiste ». 16 000 m2 de jardins, au cœur de Lassay-les-Châteaux, dans lesquels les visiteurs pourront naviguer au gré d’une dizaine d’ « enclos sécurisés », abritant comédiens, circassiens, musiciens, conteurs et autres contorsionnistes, à découvrir sur place le jour J. Cinq visites gratuites de 2 heures pour 250 spectateurs sont programmées les 13 et 14 juillet, uniquement sur réservation.
« Nous avons lancé la communication sans avoir confirmation de l’autorisation de la préfecture », confessait David début juillet. Une situation similaire pour tous les événements maintenus cet été. À l’image d’Un singe en été à Mayenne qui espère pouvoir programmer six concerts, entre début août et mi-septembre, en plein air et en jauge limitée à 500 spectateurs.
Après avoir échafaudé plusieurs scénarios et craint un temps son annulation, Le Chainon proposera, « si tout va bien« , une programmation « plein volume » avec 65 spectacles présentés. « Un pari » selon Kévin Douvillez, qui prévoit un déficit de 40 à 50000 euros à l’issue du festival si les mesures sanitaires en vigueur, réduisant la jauge des spectacles à 50%, sont toujours d’actualité. Le directeur artistique assume la prise de risque : « c’était une nécessité de maintenir le festival pour les artistes comme pour les programmateurs, que la Covid a privé du festival d’Avignon ». Au Chainon comme à Avignon, les professionnels viennent en effet repérer les artistes qu’ils accueilleront dans leurs prochaines saisons. Plus de 350 pros étaient ainsi venu faire « leur marché » à Laval en 2019.

Jeu collectif

« On se sent moins seuls », sourit Solène Louvet, coordinatrice des Embuscades, qui devraient se tenir quelques jours après Le Chainon, du 26 septembre au 11 octobre. Recettes prévisionnelles en baisse oblige, le festival de l’humour cosséen a dû réduire légèrement la voilure. « On travaille à fond sur la prochaine édition, mais avec déjà l’édition 2021 en ligne de mire… Nos partenaires privés et publiques maintiendront-ils leur soutien à leur niveau actuel ? »
L’inquiétude, partagée par beaucoup, est légitime. Avancer groupé et uni ne peut qu’aider les festivals face aux probables difficultés budgétaires qu’ils auront à surmonter en 2021. Né pendant le confinement, un collectif fédère aujourd’hui 19 festivals du département. À l’origine de ce réseau, la volonté de porter une parole commune auprès des institutions (collectivités, État) et un nécessaire partage d’infos : « en tant que professionnels, nous avions déjà des difficultés à trouver des informations fiables sur les aides, protocoles sanitaires, etc., resitue Lisa du Foin de la rue. En discutant avec Yann des 3 Éléphants, cela nous a semblé évident de partager nos ressources avec les festivals bénévoles, qui devaient être encore plus perdus que nous ». Plusieurs courriers à l’attention des élus, un communiqué de presse seront signés par le collectif, qui se réunit régulièrement en visio.
« C’est très positif. C’est la première fois qu’on se rencontre tous. On apprend à se connaître », se félicite David de L’Oriolet. « Et puis, complète Lisa, cela va déboucher sur des projets concrets d’investissements communs et de mutualisation, qui pourront amplifier et structurer les logiques d’entraide déjà à l’œuvre entre certains festivals ». Un appel à dons a été lancé qui pourrait permettre des achats mutualisés (barnums, éléments de décors, matériel technique…) et un circuit de mise en commun du matériel à l’échelle des festivals. Un projet de ressourcerie culturelle, qui pourrait se charger de la gestion de ce matériel et recycler du matériel hors service, est déjà l’étude.
« Le confinement a permis à chacun de trouver du temps pour s’investir dans cette réflexion, conclut Yann Bieuzent. Les crises peuvent être propices à l’invention de nouvelles manières d’agir. À l’heure où les festivals indépendants, déjà menacés par des phénomènes de concentration, sont plus que jamais fragilisés, il n’a jamais été aussi vital qu’on se parle et qu’on travaille de concert. »

 

* Par festival, on entend un évènement récurrent programmant au minimum six propositions artistiques.
** Estimation calculée sur la base des chiffres de fréquentation réalisés en 2019 et selon les hypothèses de calcul de l’étude SoFest ! Cette estimation n’intègre pas les dépenses non réalisées par les festivals annulés.

 

Retrouvez tous les festivals en Mayenne, et notamment ceux programmés cet été et cet automne sur notre carte des festivals.