C’est quoi au fait une répèt’? Couramment utilisé dans le théâtre ou la musique classique, le terme de répétition prend une signification beaucoup plus large et mystérieuse lorsqu’il s’agit de « musiques actuelles ». Tentative de définition avec Thierry Duval, directeur du Cry, un réseau fédérant 26 lieux de concerts et de répétition dans les Yvelines. Ce militant ès « musiques amplifiées » accompagne depuis 15 ans les collectivités publiques dans la conception de studios de répétition.

Thierry Duval : le mot répétition est un peu réducteur. C’est un terme du domaine professionnel, qui s’est ensuite généralisé à l’ensemble des musiciens. C’était le terme de référence pour désigner le fait de se retrouver en vue de préparer un spectacle. Mais dans la réalité, ce qu’on appelle répétition aujourd’hui a beaucoup d’autres vocations. On a vu récemment à travers des études menées sur le plan local et national que pour beaucoup de groupes la répétition se suffit à elle-même. Ça ne veut pas dire que ces groupes n’ont pas envie de faire de concerts mais disons qu’ils ne feront pas forcément les démarches pour. Pour une grande masse de musiciens, ce qu’on appelle la répétition, c’est vraiment le rendez-vous de la pratique musicale collective. Une fin en soi, dans le cadre d’une pratique de loisir assumée comme telle. Et puis il y a évidemment tous les groupes pour qui la répétition c’est la préparation des concerts, l’endroit où l’on prépare un projet de groupe avec une volonté d’évolution, des projets de concerts, de disques… et dans certains cas un objectif de professionnalisation. La répétition va avoir des raisons d’être différentes selon les musiciens, et ces vocations peuvent évoluer au fil du temps pour un même groupe.

La notion de répétition renvoie directement à la notion de groupe, de collectif. On se retrouve entre musiciens pour créer collectivement un répertoire…

Même si c’est la volonté de la majorité des musiciens est de créer sa propre musique, il y a aussi les groupes de reprise, qui réarrangent avec plus ou moins de liberté des morceaux déjà existants. Mais dans tous les cas, création ou pas, c’est en répétition que s’élabore le son du groupe, et que se déterminent les projets artistiques. Ensuite lorsqu’il y a création, il y a les groupes pour qui la musique se créée pendant la répétition, sur la base d’improvisations collectives… Et puis ceux pour qui la répétition, c’est un peu l’assemblage de ce qui a été travaillé à la maison, même si ce travail dépasse toujours la simple addition d’individualités. Une grande part de la création se fait pendant le temps de la répétition où chacun amène ses idées, et où le contexte peut influencer sur le processus de création, selon la qualité du son acoustique, le matériel… Enfin, on l’a vérifié à travers plusieurs enquêtes, la répétition est un espace d’apprentissage très important. Une majorité de musiciens ont appris à jouer d’un instrument et à jouer collectivement lors de la répétition hebdomadaire.

À la base de la création d’un groupe, il y a souvent un projet artistique : on se rassemble pour faire tel style de musique, avec telles ou telles influences…

On a constaté qu’il y a grosso modo deux grandes étapes : la première étape est souvent affective : ce qui est déterminant, ça n’est pas le genre musical mais plutôt que les musiciens soient potes. On observe ça souvent chez les adolescents, mais aussi chez des musiciens plus anciens qui se remettent à faire de la musique et à fréquenter les studios de répéte. Ils se retrouvent entre amis et puis commence à faire de la musique à base soit de reprises, soit de compositions… Ensuite, le groupe entre souvent dans une seconde phase plus rationnelle, plus opérationnelle. Le choix des membres du groupe se fait alors effectivement plus sur la base d’un projet musical déterminé. On ne cherche pas forcément à réunir des potes mais plutôt des compétences. Un batteur de tel genre, un bassiste machin…

On voit que les objectifs comme les processus de création différent selon les groupes et leur évolution… Ca implique une diversité de besoins à laquelle il faut penser lorsqu’on conçoit des locaux de répétition ?

C’est important. Il y a suivant les types de groupes des conceptions de la répétition totalement différentes. C’est souvent lié aux genres musicaux. Les musiciens hip hop ou electro, chez qui la notion de groupe n’est pas aussi affirmée que chez les musiciens rock, ont des pratiques et des besoins très différents, auxquels répondent encore peu de lieux de répétition, souvent conçus sur des formats « rock ». Sur la question de la durée des répétitions, il y a des groupes pour qui le temps de répétition est chronométré, rationalisé : « on répète pour mettre en place nos morceaux ». Pour d’autres, la répétition, c’est carrément une demi-journée. C’est vrai notamment pour les groupes de reggae ou de musique africaine chez qui la musique a une dimension sociale, quasi familiale. On remarque aussi cette recherche de convivialité chez les groupes de blues ou de jazz… On se retrouve entre potes, on boit des coups, on joue… En général, ces musiciens sont très minoritaires dans les lieux de répétition. Ils répètent chez eux… C’est un public plus âgé, plus installé, pour lequel il est plus simple d’envisager des solutions privées, à l’inverse du jeune groupe de metal qui est obligé de rechercher un espace spécifique, insonorisé…

C’est vrai que les studios de répétition public sont souvent impersonnels, un peu froids et beaucoup moins conviviaux que les lieux de répétition privés, que les groupes peuvent aménager à leur sauce.

Lorsqu’au début des années 90, un peu partout en France, il y a eu un début de prise de conscience de la problématique de la répétition et que les collectivités publiques ont commencé à s’en préoccuper, la priorité était d’abord de fournir des lieux de répétition à des musiciens qui n’en disposaient pas, tout en tenant compte de la question acoustique. Il fallait faire des lieux isolées acoustiquement et offrant un confort d’écoute correcte. Un studio de répétition, c’est un espace public qui doit avoir une certaine neutralité parce qu’il accueille des groupes différents. Tout ce qui est de l’ordre de l’habitat, de la déco, de l’ameublement, bref tout ce qui fait qu’on retrouve un peu son « chez soi », on l’a vraiment éludé. Aujourd’hui avec le recul, on se dit, bon, c’est vrai, c’est un peu tristounet, et ça vaudrait le coup de réfléchir dans nos prochains projets à associer ces deux aspects. On défend aussi au Cry l’idée que certains lieux de répétition puissent se transformer en petit lieu de concert.

Cela pourrait permettre de répondre au problème de diffusion que rencontrent beaucoup de groupes ?

Énormément de groupes ont envie de jouer en public, ne serait-ce que devant leurs potes ou devant un petit public. Mais les salles de concerts sont assaillies et n’ont pas la possibilité de répondre à cette demande énorme. Alors pourquoi ne pas imaginer des espaces de répétition qui sont conçus pour pouvoir ponctuellement accueillir un petit public ? Ça fait parti des choses à défendre dans les futurs projets. Notre tort a été de créer des espaces clos, complètement hermétiques. Résultat : on ne sait pas ce qui s’y passe. Tu peux accueillir 50 groupes différents dans ta structure sans savoir ce qu’ils font. Si tu veux le savoir, il faut rentrer dans le studio, ce qui n’est pas forcément évident.

Mais c’est important que ces espaces soient clos, non ? Pour répéter, les groupes ont besoin d’une certaine intimité…
Il faudrait créer des aménagements qui permettent aux groupes d’avoir le choix de rester dans leur intimité et puis à un moment donné de pouvoir montrer d’où ils en sont dans leur création. Le « studio-scène » pourrait servir à ça. Le problème des lieux complètement clos, c’est que toute une activité reste absolument méconnue du grand public. Alors que dans les espaces sportifs qui sont à la vue de tout le monde, on peut voir directement les pratiquants : « tiens il y a plein de gens qui jouent… »

Tu compares espaces sportifs et studios de répétition. Le sociologue Marc Touché rapproche lui « répétition » et « entrainement ». Ce parallèle entre le sport et la pratique musicale est un argument souvent avancé, notamment auprès des élus…

C’est un argument parmi d’autre. Cela permet de convaincre des personnes qui sont très profanes sur le sujet qu’il est aussi légitime de construire des lieux de répétition adaptés que des terrains de sports ou des skateparks. Cela permet aussi de montrer qu’en musique comme en sport, où chaque discipline à ses spécificités, chaque famille musicale présente ses particularités qu’il faut reconnaître et respecter. Si à un moment donné, tu ne prends pas en compte qu’il y des cultures et des manières d’apprendre différentes, tu te plantes. Et puis il doit y avoir pour la musique comme pour le sport l’idée d’un service public pluri-générationnel. Souvent quand on pense studio de répétions, on pense public jeune, alors qu’en fait ces lieux accueillent de plus en plus toutes les tranches d’âge.

Jusqu’à quel point ce parallèle est-il valable ? La musique est un moyen d’expression, il s’agit de « dire » quelque chose. Ce qui est moins vrai pour le sport ?

Je ne suis pas d’accord. Pour beaucoup de groupes on est dans une pratique qui se rapproche du sport justement parce qu’ils sont dans des reproductions ou dans des mimétismes. On s’associe entre potes pour faire un style de musique, sans forcément avoir l’idée d’exprimer quelque chose d’original, de singulier… On reproduit des codes. Après ce qui est certain, c’est que le sport est beaucoup plus codifié, réglementé. En musique, nous ne sommes pas dans cette démarche-là, mais dans une recherche d’autonomie, des espaces de liberté, où les gens construisent un peu ce qu’ils veulent…

L’une des spécificités des musiques amplifiées est l’utilisation de volumes sonores élevés. La question de la santé auditive des musiciens a aussi été un élément important pour convaincre les élus…

A la fin des années 80, et je pense que c’est toujours vrai aujourd’hui, ces musiques ne recevaient pas forcément un accueil favorable après des élus. En mettant en avant les questions de santé auditive, on évacuait le débat artistique. Ca permettait à des élus, qui ne connaissaient rien à ces musiques, de dire : « on a une action responsable vis-à-vis de notre jeunesse. On fait en sorte d’éviter qu’elle devienne sourde ». C’est évident que si on est répète dans un lieu dont l’acoustique est mauvaise, il y a aucune possibilité pour les musiciens de contrôler le son. On joue fort par contrainte, pour s’entendre individuellement. Quand un groupe arrive dans un espace adapté, il a la possibilité de faire un travail beaucoup plus fin. Après je crois quand même qu’il y a un vrai problème de formation des musiciens quant à l’utilisation du matériel. La plupart du temps les jeunes musiciens sont livrés à eux-mêmes. Parce quand tu achètes un ampli, tu n’as pas le mode d’emploi qui va avec. Ça me parait primordial que les musiciens aient un moment la possibilité d’avoir un travail pédagogique sur le son, individuel et collectif.

Tu défends depuis longtemps au sein du Cry l’idée qu’un studio de répétition, ça n’est pas simplement un lieu et du matériel mais aussi du personnel encadrant, des actions d’accompagnement, de formation, etc.

Il s’agit de s’appuyer sur le fait que ces lieux soient des espaces d’apprentissage privilégié pour proposer un travail de formation… Au même titre que dans un club sportif, tu peux pratiquer tout seul mais aussi apprendre avec des encadrants spécialisés. Pour nous, l’enjeu repose vraiment sur cette dimension relationnelle: quelles relations a-t-on avec les musiciens qui viennent répéter dans les studios ? Est-ce une relation purement « commerciale » du type : « vous avez payé tant donc vous avez le droit à ça et ça », ou est-ce qu’on essaie de répondre de manière adaptée aux besoins du groupe et d’être vraiment dans un échange, dans une confrontation de points de vue sur le projet artistique qu’il propose ?

Près de 20 ans après la création des premiers studios de répétition publiques, quel bilan peut-on tirer ? L’offre de studios satisfait-elle les besoins des musiciens ?

On n’est très loin d’être au niveau d’équipement du sport. Si tu compares le nombre de pratiquants au nombre d’espaces disponibles, on est encore loin du compte… Tous les studios de notre réseau dans les Yvelines affichent des listes d’attentes. D’autant que la création d’un lieu génère des envies de pratiques. On observe que des gens achètent des instruments, forment des groupes parce qu’il y a un studio de répétition à côté de chez eux.

J’imagine qu’entre ville et campagne, les besoins en studios sont différents ?

C’est évident qu’il est plus simple de trouver des lieux privés pour répéter à la campagne. Mais c’est une question de volontarisme à un moment donné. Si tu crées un vrai outil adapté avec une approche pédagogique, une volonté de transmission, d’encouragement général…, ça n’est pas la même chose que si tu dis « après tout les gens se débrouilleront et trouveront bien quelque chose ». On a des exemples de studios en territoires ruraux qui marchent du feu de dieu. Parce qu’ils proposent aussi un accompagnement pédagogique, de l’info, une aide à la diffusion et que ça créée une dynamique. Ce sont des lieux de vie à part entière.