Mi-mars, les salles de spectacle et lieux d’exposition suspendaient leurs activités, sans horizon quant à leur réouverture. Alors que le brouillard semble peu à peu se dissiper, bilan et perspectives avec trois responsables de saisons culturelles en Mayenne.

C’était il y a trois mois. Une éternité. Le 12 mars, Le Théâtre de Laval accueillait une dernière représentation avant de basculer dans le confinement. Sans se douter que, comme l’immense majorité des salles de spectacle hexagonales, la maison resterait fermée jusqu’à l’été. Fin de saison anticipée.
« Sans doute par naïveté, on se projetait dans une reprise à la mi-avril », se souvient, mi-sourire mi-soupir Stéphanie Miserey, responsable du service culturel de la communauté de communes du Bocage Mayennais. « Face à la situation, notre état d’esprit, dans lequel nous sommes d’ailleurs toujours, était de trouver des solutions, de chercher à s’adapter aux contraintes pour rebondir et poursuivre nos actions. »
Pendant quelques semaines, l’incertitude plane alors, entretenue par l’absence de réponse claire du gouvernement quant à la possible réouverture des lieux de spectacle. Oscillation générale. Avant que chacun ne comprenne qu’il faudrait se résoudre à annuler toutes les dates prévues jusqu’à la trêve estivale. Soit plusieurs centaines de concerts et spectacles rayés de la carte en Mayenne. Du jamais vu.
Hasard malheureux du calendrier, la saison du Bocage Mayennais concentrait cette année plus de la moitié de sa programmation entre mars et mai. Six spectacles seront annulés. Au centre d’art contemporain de Pontmain, que pilote aussi Stéphanie Miserey, l’exposition du plasticien Régis Perray, initialement programmée au printemps, glisse sur juillet-août. Partie immergée de l’iceberg, la visite de quelque 500 scolaires au centre d’art et près de 40 heures d’ateliers d’éducation artistique tombent également à l’eau.
« Tous les artistes concernés par ces annulations ont été indemnisés à hauteur de la moitié de leur cachet et les régisseurs intermittents payés intégralement », se félicite Stéphanie. Un geste politique loin d’être anodin pour cette collectivité rurale dont la crise actuelle grève les finances : risques de baisses des dotations de l’État, recettes en berne, dépenses supplémentaires liées à la mise en place des mesures sanitaires…

Y’a plus de saisons

Même topo au Kiosque à Mayenne, qui a rémunéré « comme s’ils avaient bossé » tous les régisseurs engagés jusqu’à juin, et demandé aux artistes non accueillis « d’envoyer leur facture« , dans la limite du contrat initial. Libre à chacun de chiffrer l’indemnité souhaitée. « Au final, nous avons pris en charge 75 à 100% des cachets des 30 représentations que nous avons dû annuler, calcule Bruno Fléchard, directeur artistique du Kiosque. Idem pour les deux expos prévues à la Chapelle des Calvairiennes, les ateliers pédagogiques et les nombreuses résidences d’artistes qui se sont aussi écroulées. »
Pas question de donner des leçons de solidarité pour autant : « nous avons pu soutenir les intermittents parce que nous en avions les moyens, tempère Bruno. Le maintien des subventions des collectivités – État, Région, Département, Communauté d’agglo – d’une part, et d’autre part l’absence de frais techniques, très lourds habituellement au Kiosque qui ne dispose pas de salle équipée, font que nous n’avons pas perdu d’argent, malgré les annulations. »
En Mayenne, une grande majorité des saisons culturelles et théâtres ont adopté cette ligne solidaire. À Laval, Le Théâtre, qui a tiré un trait sur dix spectacles et plusieurs résidences de création, a tricoté son soutien sur-mesure. « Entre l’Orchestre national des Pays de la Loire et une jeune compagnie en développement, il y des réalités très différentes, dont on a tâché de tenir compte dans nos propositions d’indemnisation », justifie Pierre Jamet. À Laval comme à Mayenne ou au Bocage Mayennais, peu de spectacles ont été reportés à la saison suivante. « Nos programmations pour 2020-2021 étaient déjà bouclées en avril, indique le directeur du Théâtre. Supprimer des spectacles prévus la saison prochaine pour permettre ces reports, c’était juste déplacer le problème de quelques mois ».

Le plasticien Régis Perray en pleine préparation de son exposition Résider, voyager au centre d’art contemporain de Pontmain, du 4 juillet au 30 août. Je crois que cela fonctionne maintenant, non ?

Retour aux normales saisonnières ?

Reprendra ? Reprendra pas ? Bis repetita. Tandis que les équipes des saisons et théâtres, en télétravail depuis mi-mars, réintègrent doucement leurs bureaux, le doute perdure : y aura-t-il des spectacles à la rentrée ? En mai, certains annonçaient d’ores et déjà le report de leur saison à janvier 2021, quant d’autres réfléchissent à un plan b, en mode petites salles et petites formes.
En Mayenne, si la plupart des saisons tablent sur un retour à la normal en septembre, le spectre d’une deuxième vague plane toujours. « Notre programmation est prête. On fait comme si la saison allait démarrer normalement, confie Bruno Fléchard. Je veux bien me réinventer, mais pas trop tôt. Impossible d’anticiper, alors que la situation évolue toutes les semaines».
Dans un contexte de ralentissement significatif de la pandémie depuis fin mai, l’autorisation de réouverture des salles de spectacle depuis le 2 juin est un signe encourageant, même si les mesures de protection à respecter questionnent. « S’il faut placer le public un rang sur deux, tous les trois fauteuils, avec port du masque obligatoire, c’est absolument injouable économiquement, et puis comment partager une émotion collectivement dans ces conditions ? A contrario, s’il s’agit simplement de séparer d’un fauteuil les spectateurs n’appartenant pas au même groupe, cela parait davantage envisageable», résume Pierre Jamet, qui précise : « nous échangeons régulièrement sur ces questions entre saisons et festivals du département, pour tâcher d’agir de manière concertée et solidaire ».
« Et quid des spectacles non corona-compatibles, de danse ou de théâtre notamment, qui rendent impossible toute distanciation physique sur scène ? », poursuit Bruno Fléchard, qui s’interroge aussi sur le retour du public dans les salles. Les spectateurs, après six longs mois loin des théâtres, seront-ils au rendez-vous ? « Le confinement a renforcé, via le numérique, l’individualisation des pratiques culturelles, et nous a privé de lien social, de temps communs : il y a un fort besoin de proximité, de partage», veut croire avec optimisme Pierre Jamet, qui cite la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker : « Nous sommes dans un monde où les expériences à vivre ensemble deviennent de plus en plus rares. Ce qui rend le spectacle vivant encore plus précieux. »
Autre zone d’incertitude, en cette époque décidément imprévisible et mouvante : nul ne sait dans quel état se trouveront les finances des collectivités fin 2020, au moment où seront votés les budgets de l’année prochaine. « Avec la récession violente qui s’annonce, on peut craindre que les budgets culturels subissent des coupes sombres», pointe Bruno Fléchard. Suite au prochain épisode donc. Le suspense reste entier.

Privés de sortie
Entreprise de location de matériel de sonorisation et d’éclairage, cuisiniers spécialisés dans les caterings artistiques, attachés de presse, agents de sécurité… Souvent dans l’ombre, les acteurs privés du secteur culturel en sont pourtant des maillons indispensables. « Plus que des prestataires, ce sont de véritables partenaires, souligne Bruno Fléchard, du centre culturel Le Kiosque à Mayenne. Nous travaillons main dans la main avec une entreprise comme LBS, qui fournit le matériel technique de la saison depuis des années
Peu évoqués en ces temps de crise, ces acteurs « oubliés de la culture« , comme les qualifient plusieurs tribunes publiées courant mai, subissent pourtant de plein fouet les conséquences de la pandémie (lire à ce sujet l’enquête réalisée par Le Pôle de coopération pour les musiques actuelles en Pays de la Loire). « C’est simple, depuis mars, c’est le vide intersidéral, témoigne Adrien Rouzière, patron de LBS production. Notre agenda est resté vierge. Je prévois une perte de chiffres d’affaires de 400000 euros cette année. Heureusement ma banque est compréhensive, j’ai pu différer mon loyer, mettre mon salarié au chômage partiel et bénéficier d’aides. »
Pestant contre le flou maintenu par l’État sur les futures conditions d’organisation des événements culturels, il conclut : « on a toujours l’impression que la culture est la dernière roue du carrosse. Nous avons besoin de savoir quand nous pourrons enfin recommencer à travailler!»