Mais au fait c’est quoi le bénévolat ? Quid de son histoire, de sa réalité en France ? Qui sont les bénévoles ? Qu’est-ce qui les motive autant à donner de leur temps ? Échange avec Lionel Prouteau, économiste et auteur de plusieurs études de référence sur la question.

Lionel Prouteau : La question de la définition du bénévolat est bien plus complexe qu’il n’y paraît. Un exemple : je suis salarié d’une association et je suis incité à participer au conseil d’administration de cette association sans être rémunéré. Suis-je bénévole à ce moment là ? Autre exemple : je m’occupe de mon voisin malade, est-ce du bénévolat ? L’étudiant à qui on suggère fortement d’être bénévole pour acquérir de l’expérience, l’est-il réellement ? Qu’elle est la frontière entre le bénévolat et l’activité professionnelle, le loisir, la formation ? Il y a par exemple des chercheurs qui ont défini le bénévolat comme un « loisir sérieux » . Bref, il n’y a pas de définition naturelle du bénévolat. Mais des conventions, sur lesquelles d’ailleurs tous les chercheurs ne s’accordent pas nécessairement, et qui délimitent les frontières entre les différents domaines d’activité : travail salarié, loisirs, etc. Pour moi, le bénévolat, c’est donner volontairement son temps, sans aucune rémunération, en dehors de son foyer et de son activité professionnelle.

Depuis quand utilise-t-on le terme « bénévolat » ? Y a-t-il toujours eu des bénévoles ?

Le bénévolat est une notion récente, qui prend des formes différentes selon les sociétés, les pays… Le bénévolat associatif est une réalité plus importante dans les sociétés dites développées que dans les pays en voie de développement, où par contre le bénévolat informel, l’entraide de voisinage sont très importants. Le bénévolat, c’est une réalité sociale et historique. L’adjectif « bénévole » est certes très ancien. On le retrouve au 12 et 13e siècle. Il a une étymologie latine et vient de benevolens qui signifie « qui veut le bien ». Mais si l’adjectif est ancien, les substantifs « bénévole » et « bénévolat » vont, semble-t-il, apparaître seulement aux débuts des années 50. On suppose que le terme de bénévolat est une création argotique des professionnels de l’action sociale qui ont à s’imposer face aux bénévoles pour faire reconnaître leur métier, alors en pleine émergence. Construit en opposition au terme de salariat, le bénévolat va évoluer avec lui et plus largement avec les transformations sociales.

Peut-on retracer les grandes évolutions du bénévolat en France ?

Les premières enquêtes menées sur le bénévolat datent des années 90. Difficile donc de procéder à une analyse historique. Il semble qu’il y ait eu une augmentation du nombre de bénévoles depuis le début des années 90. Et on peut penser que depuis près de deux décennies, l’engagement associatif évolue dans le sens d’une volonté plus affirmée d’agir de manière pragmatique, dans la proximité, de percevoir les résultats de son engagement. La défense des grandes causes ou des grandes idéologies a probablement aujourd’hui moins d’importance. C’est la thèse que défend par exemple le sociologue Jacques Ion dans son livre La fin des militants ?.

Au début des années 90, notamment avec le dispositif emplois jeunes, on assiste à une professionnalisation importante des associations…

Les emplois aidés, qui s’inscrivent dans les dispositifs des politiques de l’emploi des pouvoirs publics, ont été un moyen de faire face à des besoins croissants de professionnalisation des associations. Ce phénomène date d’avant les années 90, mais il s’est considérablement intensifié depuis une vingtaine d’années, sous le double effet de l’évolution de la demande du public (de plus en plus exigeant en matière d’encadrement, de sécurité, etc.), et des dispositions prises par les pouvoirs publics (notamment en termes de réglementation). Cette professionnalisation va prendre au moins deux aspects : le recours croissant au salariat et la professionnalisation des bénévoles.

Être bénévole, cela devient un « métier » ?

En tout cas, on exige de plus en plus de compétences et de savoir-faire des bénévoles. Ce qui pose d’ailleurs un problème, car on constate déjà que le monde du bénévolat est socialement assez sélectif : la probabilité d’être bénévole est plus importante chez les cadres ou professions intermédiaires qu’elle ne l’est chez les ouvriers. Avec cette accentuation de la professionnalisation chez les bénévoles, on peut craindre une augmentation de ce caractère sélectif. C’est un danger si l’on considère que l’un des intérêts du bénévolat, c’est précisément d’offrir à tous un moyen de participer à l’espace public, à la société civile.

Que représente aujourd’hui le bénévolat en France, et notamment dans le secteur culturel ?

28% des français de plus de 15 ans, soit environ 13 millions de personnes, exercent de façon régulière ou occasionnelle une activité bénévole en France en 2002. Mais à peine la moitié de ces 28% sont bénévoles réguliers. 13 millions, cela correspond environ à 820 000 emplois équivalents temps-plein (ETP) et plus de 930 000 en 2005 selon Viviane Tchernonog qui obtient ce résultat à partir d’une enquête qu’elle conduit auprès des associations. Ce qui représente une force de travail loin d’être négligeable. En valorisation monétaire, à partir de l’enquête de Viviane Tchernonog, cela équivaut à environ un montant compris entre 17 à 34 milliards d’euros, soit entre 1 et 2 % du PIB. Les bénévoles du secteur culturel représentent environ 153 000 ETP, soit 16 % du total. La culture est le deuxième secteur, en nombre de bénévoles, après le secteur sportif. Si l’on compare ce chiffre au nombre de salariés qu’emploie ce secteur – 153 000 ETP bénévoles contre à peine 84 000 ETP salariés -, on voit bien que le bénévolat joue un rôle absolument vital pour la culture, et que le salariat est encore souvent précaire dans ce domaine.

Cela témoigne aussi peut-être de la capacité du secteur culturel à mobiliser des ressources alternatives comme le bénévolat pour lutter contre le tout économique, la rentabilité à tout prix, et in fine maintenir une diversité culturelle ?

On retrouve là l’essence du fait associatif, pouvoir répondre à des aspirations émergentes. L’existence du bénévolat, qui est consubstantiel au fait associatif, est un garant de la société civile à répondre aux besoins émergents, auxquels l’action publique ou du monde marchand ne répond pas.

Y a-t-il un profil type du bénévole ?

Il n’y a pas un bénévolat mais plusieurs bénévolats. On peut bien sûr prendre l’ensemble des bénévoles et tracer un portrait, dégager des caractéristiques. En France, par exemple, il y a plus d’hommes bénévoles que de femmes… Mais que ce soit pour le sexe, l’âge, etc., il y a des différences très marquées selon les domaines d’activité. Pour prendre un exemple quasi caricatural, entre le bénévole sportif et le bénévole d’association religieuse, il y a des différences énormes. Quelques facteurs jouent quand même un rôle assez homogène. Le niveau de formation initiale, le diplôme, est un facteur discriminant dans tous les secteurs, encore plus que la catégorie sociale. Autre facteur très important : le bénévolat est un comportement qui tend à se transmettre. Autrement dit, on a d’autant plus de probabilités d’être bénévole quand nos parents l’ont eux-mêmes été. Dans le secteur culturel, le rôle du diplôme est assez fort et, comme pour le bénévolat sportif, le fait d’habiter en zone rurale accentue la probabilité d’être bénévole. A la campagne, si vous voulez voir des concerts ou pratiquer telle activité sportive, il faut se prendre en main et créer son association…

Les motivations des bénévoles sont-elles aussi variées que les profils ?

On constate une pluralité des motivations chez un même bénévole et une diversité des motivations envisageables. Sur la question des motivations, on se heurte à un biais bien connu des enquêteurs : le biais de la désirabilité sociale. L’enquêté pour se valoriser, y compris à ses propres yeux, tend à présenter son comportement sous le jour le plus favorable. Donc la réponse majoritaire, c’est : « aider les autres ». Nos études et d’autres montrent aussi l’importance du motif relationnel. Plus de la moitié des bénévoles disent qu’ils le sont pour rencontrer d’autres personnes, se faire des amis. Et puis il y a des motifs qu’on rencontre davantage dans le sport, la culture et les loisirs : vouloir bénéficier d’une activité sportive, culturelle, etc. Ce sont des motivations tout aussi honorables qu’« aider les autres ».

Être bénévole, ça n’est pas forcément un geste de pure altruisme ?

Dans l’imaginaire collectif, le bénévolat, c’est avant tout le bénévolat humanitaire ou caritatif. Or les enquêtes montrent que ce type de bénévolat est minoritaire. Les bénévolats sportif, culturel et de loisirs constituent à eux-seuls plus de la moitié de « l’emploi bénévole » en France. Il ne faut pas voir seulement le bénévole comme un altruiste qui se dévoue. Quelqu’un qui devient bénévole entre dans un certain type d’échange. Pas un échange monétaire évidemment, mais s’il ne trouve pas une certaine gratification dans cet échange, son bénévolat sera peu durable. C’est un échange de dons, ce que Levi-Strauss appelle la réciprocité. Pas un échange du type donnant-donnant : « je donne une heure aujourd’hui, je veux une contrepartie ce soir », mais un échange avec un retour différé, une recherche de gratifications qui s’inscrivent dans des registres très différents : relationnel, symbolique, etc. : comme par exemple rehausser l’image qu’on a de soi même. C’est symbolique certes mais essentiel parce que constitutif de l’identité personnelle.