Qui dit émission « spéciale Compile » dit soirée exceptionnelle, avec à l’affiche de cette émission Tranzistor quatre groupes figurant sur notre 11e Compilation : Bloodflower, Mountaiin, The Animal Objective et Mémé les watts XXL. Soit près d’une vingtaine d’artistes réunis sur le beau plateau du Théâtre des Ursulines à Château-Gontier !

 

Exceptionnelle cette soirée l’était aussi pour Stella Courchesne-Laurier, chanteuse lead de Bloodflower qui fêtait ce soir-là son 25e anniversaire et le premier concert de son groupe en quartet. Depuis sa création en 2022, Bloodflower s’était toujours produit en duo, associant Stella à son inséparable frangine Pialli, aux chœurs et au violon. Depuis plus de 10 ans, les deux sœurs chantent et jouent ensemble sur scène, ce qui n’e peut que renforcer leur complicité, leur proximité vocale et le lien quasi gémellaire qui les relient. De leur groupe de rock familial Noble Sauvage, ainsi que du combo garage punk Crocodile Boogie, monté avec quelques pistoleros de la scène rock rennaise, Stella et Pialli ont conservé une attitude, une spontanéité, un look (doucement) rebelle et rock’n’roll.
À leur « côté punk », dans Bloodflower, elles conjuguent l’efficacité hypnotique et dépouillée du blues, que viennent habiller des rondeurs soul, r’n’b, voir hip hop. Rythmiques sèches et synthétiques, infra basses vibrantes et boucles de piano entêtantes… David Tessier à la batterie électronique et Julien Lemoine aux claviers élargissent encore la focale musicale, en lui conférant une dimension trip hop et electro classieuse. Le tout tisse un écrin mettant parfaitement en valeur le charme puissant du chant de Stella. Petit bijou irrésistiblement mélodique, sa voix se pare d’une intensité dramatique et d’une expressivité sans filtre, connectée directement à ses émotions, entre douce mélancolie, langueur et colère saine, comme sur « La bruja », superbe ode féministe aux sorcières, où Stella déroge à son anglais parfait pour quelques couplets en espagnol.
Libres et inclassables, les chansons de Stella n’obéissent à aucun plan : elles naissent du besoin cathartique de mettre des « mots sur ses maux », de traduire en musique ses émotions. « Ma mère est comédienne », raconte-t-elle. À la maison, où « les émotions étaient très présentes« , la chanteuse et bassiste apprend à exprimer librement ses joies et ses peines plutôt qu’à les refouler.
Ces émotions fortes qu’exhale la musique de Bloodflower ont touché en plein cœur David « Tess » Tessier. La sensibilité et le pouvoir émotionnel des chansons de Stella ont poussé le batteur, qui accompagne les talents émergents depuis plus de 30 ans au conservatoire de Laval, a dépassé son rôle habituel pour épauler le groupe sur scène, ainsi qu’en studio d’enregistrement. Le quartet prépare en effet un premier EP 5 titres, prévu pour janvier prochain. « Inside me », premier extrait cet EP figurant sur la compile Tranzistor, laisse espérer un disque à la hauteur de l’impressionnante prestation live délivrée par le quartet pour sa première apparition scénique.


Si les filles de Bloodflower ont 30 ans de moins que leur batteur, Pierro Le Feuvre, le créateur et chanteur de Mountaiin, affiche-lui 20 piges de plus que son binôme, Corentin Visse, aussi à la batterie. Sur la route depuis près de 30 ans, d’abord avec la Saint-Java puis avec La Casa et Mazarin, Pierro savoure le vent de fraîcheur, le souffle neuf que lui apporte cette nouvelle collaboration. « Corentin arrive avec d’autres références, une autre culture musicale et tout un réseau que je découvre grâce à lui« . Hyperactif et touche à tout, le presque quinqua ne manque pourtant pas de souffle, lui qui, en parallèle de son projet solo Mazarin, multiplie les aventures : en trio avec Grand Hôtel, en duo avec le dessinateur Alexis Horellou pour le concert dessiné À la croisée des chemins, sans compter l’édition de sérigraphies, ou son travail de scénographie pour différents festivals.
Sur scène, les regards et sourires que s’échangent les deux acolytes témoignent de la belle connivence qui anime le duo depuis sa création en 2024. Dans leur musique, en studio comme en live, souffle l’énergie des commencements, le plaisir de la rencontre, avec tout ce qu’elle comporte de découvertes heureuses, de portes qui s’ouvrent et de nouveaux horizons qui se dessinent.
Question horizon, avec Mountaiin, Pierro Le Feuvre poursuit ses obsessions : le regard irrésistiblement tourné vers l’ouest, il continue d’explorer son rêve américain, cet « Arizona dream » fantasmé, déjà visité avec La Casa ou Grand Hôtel, où se mêlent trompettes mariachi nostalgiques, accents tex-mex hispaniques et guitares western rêveuses à la Calexico.
Ce nouveau voyage en tandem est aussi un retour aux sources fertiles de ses premiers amours pour un certain folk-rock américain : ces bricolos géniaux qui, tels Grandaddy, Pavement ou Beck, mixèrent, dans un joyeux bazar (ré)créatif, americana pur jus, mélodies pop évidentes, guitares cracra, samples trafiqués et autres bidouilleries lo-fi.
« C’est un peu la labo. On teste, on fait tourner les machines, on expérimente plein de trucs, sans se donner de limites« , raconte Pierro.

Délaissant son éternelle six cordes acoustique, le chanteur-guitariste lui préfère ici une très seyante guitare électrique (la première de sa carrière !) et moult claviers analogiques au grain vintage à souhait. La mélancolie des chansons de Mazarin s’estompent, pour laisser place à un hédonisme revendiqué. Libéré du poids de l’écriture en français, le songwriter s’en donne à c(h)oeur joie, laissant libre cours à son indéniable savoir-faire mélodique, notamment sur les tubes « Montaña » ou « Oooh », clairement taillés pour le dancefloor. Ses talents de showman font le reste : il ne faudra que 30 secondes au public du Carré pour être conquis.
Sur la superbe ritournelle « What can I do with my hands », plus apaisée et mélancolique (on ne se refait pas !), le musicien nous livre sans faux semblant son désarroi face aux désastre ambiant, et s’interroge : « que puis-je faire de mes mains ? » Pas mal de (belles) choses a priori, à commencer par cet excellent live dans Tranzistor l’émission !


Mais quelle créature étrange se cache derrière The Animal Objective ? Un être hybride à coup sûr, chimère imaginaire, née d’un croisement improbable entre Franck Zappa, Pink Floyd, Mike Patton ou Primus. Impossible pourtant de trouver une filiation évidente, ou même un lointain cousin, à cette entité singulière. Aussi inclassable qu’insaisissable, la musique de ce caméléon ne cesse de changer de direction, de prendre des virages imprévisibles, passant sans prévenir d’une mélodie inoffensive à une explosion bruitiste.  

Pour autant, chez son géniteur, le chanteur et guitariste Tim Naish, fondateur du groupe en 2018, ne cherchez aucune prétention à se distinguer ou à cultiver à tout prix l’art du contre-pied. « C’est juste comme ça que j’aime et que j’entends la musique« , confie-il, avec l’humilité et la simplicité qui le caractérisent.
Pourtant, le musicien anglais, débarqué en France il y a 15 ans, aurait de quoi se la jouer : avec ses structures complexes, loin du traditionnel schéma couplet-refrain, et ses changements de rythmes incessants, la bête s’avère, en live, redoutable à dompter, exigeant une maîtrise technique poussée, un jeu à la précision chirurgicale et une concentration de tous les instants.  

Parfaitement synchro, le quartet joue comme un seul homme, délivrant une performance impressionnante de fluidité et de puissance. Artificier en chef, le batteur Anthony Chauveau déploie un jeu virtuose, à la fois fin et explosif, concis et massif, imprimant des tempos ultra rapides, que vient soutenir parfaitement la basse à la fois souple et métronomique de Sylvie Pichard, pilier du quartet à l’indéfectible rigueur rythmique.  

Autour de cette très solide paire basse-batterie, viennent s’enrouler les guitares de Joachim Pannier et Tim Naish, toutes en torsions et distorsions, circonvolutions et convulsions, stridences saturées et dérapages contrôlés. Haletant et nerveux, le chant de Tim, comme jailli d’un troll sous acide, ajoute encore un peu plus de folie à la frénésie ambiante. Loin du monde réel, notre curieux animal explore un univers parallèle, aussi réjouissant qu’anxiogène, né de l’imagination fertile de Tim, auteur de tous les textes et compositions du groupe.  

Illustrateur et graphiste du métier, ce contrôle freak revendiqué a aussi pensé l’identité visuelle du projet, des tenues de scène (en mode rayures et orange pétant) à la pochette du premier EP du groupe, paru fin 2024. Une illustration à la végétalité foisonnante, entre art nouveau et psychédélisme seventies, tout en courbes et recoins, détails et chemins sinueux. On regarde ses images comme on se perd dans cette musique labyrinthique, hantée par un étrange minotaure, à la dérangeante et bizarre beauté.


« Vous pouvez danser dès le premier morceau si vous voulez !? » À peine le premier titre du live de Mémé les watts XXL entamé, Pierre Bouguier, chanteur et fondateur du groupe, se réjouit : chaud-bouillant, le public du Carré semble bien décider à profiter de chaque seconde du concert. Il faut dire que les occasions sont rares de pouvoir apprécier en live le nonet, dont c’est ici la quatrième apparition sur scène.  

« Ça n’est pas simple de concilier les agendas de 9 musiciens, et puis c’est un budget pour les organisateurs d’accueillir un groupe aussi nombreux« , explique le chanteur-guitariste, qui rembobine : « au départ, ce projet devait être juste un one shot. En 2024, on voulait fêter les 10 ans de Mémé les watts avec un concert rassemblant tous les musiciens qui ont joué avec nous pour un remplacement ou autre. »  

Cela fait en effet désormais plus d’une décennie que Pierre Bouguier a eu cette belle idée de relire à la mode d’aujourd’hui des chansons populaires d’hier, de « faire du neuf avec du vieux ». Invité à chanter des tubes des années 30 à la fête des moissons de Beaulieu-sur-Oudon (ça ne s’invente pas), il découvre la profondeur et la complexité de ces chansons qu’il jugeait jusqu’alors désuètes et inoffensives.  

Le quartet Mémé les Watts, qu’il crée notamment avec François Sabin (saxophone, basse) et Luccio Stitz (clavier), se lance avec jubilation dans l’art délicat du recyclage musical, sans se donner aucune limite stylistique. Mémé envoie Trenet valser à Buenos Aires ou Riquita se déhancher sur un bon vieux skank reggae-dub. Le groupe enchaîne alors les concerts où dansent et chantent ensemble toutes les générations, jeunes et vieux, grands-parents et petits-enfants. Ici, comme dans ses aventures avec Huguette the power ou le chœur Kiff et Boum, petits miracles de tolérance et d’humanité, Pierre Bouguier redonne de la consistance à ces mots vidés de leur sens, à force de discours creux : vivre ensemble, intergénérationnel, inclusion…
Très vite, le groupe trouve son public. Et lorsque qu’il fête son dixième anniversaire en version XXL, il rassemble plus de 1000 personnes. Pas prévu initialement, un album live paraîtra quelques mois plus tard, immortalisant sur disque cette soirée mémorable. Quelques concerts suivront, pour accompagner la sortie de l’album et prolonger le plaisir que procure à chacun cette aventure collective. « On a tous beaucoup de plaisir à se retrouver« , témoigne Pierre. « La preuve, certains ce soir, comme Franck au clavier ou François au sax, on fait 2 à 3 heures de route pour venir ici jouer 20 minutes ! »  

Dès les premières mesures du « Tourbillon de la vie » mijoté à la sauce cubaine, la température monte de quelques degrés. La machine XXL est lancée : à 9, le groupe dégage une énergie, une chaleur et une force impressionnante. Congas au poil, cuivres étincelants…. La chanson immortalisée par Jeanne Moreau se métamorphose en un mambo au groove irrésistible. Éclate ici, comme dans l’ensemble du répertoire du groupe, le talent d’arrangeur de François Sabin, qui signe toutes les orchestrations du projet. Le multi-instrumentiste excelle dans cet art subtil qui consiste à tailler un nouveau costard à une chanson, sans jamais la dénaturer.  

Finement ciselés sans être inutilement sophistiqués, ses arrangements régalent la section cuivres (où l’ont rejoint les excellents tromboniste Laurent Lair et trompettiste Mickaël Gache). Affichant une pêche d’enfer, entre solo ébouriffant et richesses harmoniques, le trio de cuivres brille aussi sur la « Marinette » de Brassens, qui swingue en mode jazz new Orléans comme s’il elle y était ! 

Qu’elle explore l’afro-beat, le maloya ou le jazz-funk, la musique de Mémé les Watts sonne toujours juste, dans un parfait respect des codes et modes de jeu des genres qu’elle visite. En parfait raconteur d’histoire qu’il est, Pierre Bouguier trouve quant à lui l’émotion et le ton juste pour captiver à chaque chanson l’attention de son auditoire. Tout en déployant ses talents d’animateur et d’ambianceur hors pair, en interaction constante avec le public, conquis par le générosité et l’énergie du personnage. 

Sur le dernier morceau, relecture inédite façon fanfare balkanique de « Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? », le public se lève enfin pour danser dans les travées du Carré. Et réclame bruyamment un rappel à la fin du titre, même pas fatigué après 2h15 d’émission ! Preuve, s’il en fallait une, que cette soirée « spéciale Compile » était spécialement réussie !


Une émission proposée par Mayenne Culture, en partenariat avec Le Carré, scène nationale, L’Autre radio et LŒil Mécanique.

Chaque premier jeudi du mois à 21h sur L’autre radio, Tranzistor l’émission accueille un acteur de la culture en Mayenne : artiste, programmateur, organisateur de spectacle… Trois fois par an, Tranzistor part en « live » pour une émission en public. Au programme : interviews et concerts avec deux ou trois artistes en pleine actualité.

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