En quelques jours, leur calendrier s’est vidé jusqu’à une date indéterminée. Chanteurs, chorégraphe, réalisatrice ou régisseur, ils racontent la façon dont ils vivent la crise actuelle, et se projettent vers demain, entre espoir et appréhension.

© Florian Renault

Sébastien Gourdier, régisseur son

« C’est le plus angoissant : ne pas savoir quand on reprendra et dans quelles conditions »

« J’étais engagé sur plusieurs festivals (Les 3 éléphants, Un singe en été, Ça grézille), des dates au 6PAR4, avec Mayenne Culture, d’autres avec des groupes… En tout, c’est une quarantaine de dates qui ont sauté, soit près de 400 heures de travail. Arrêt total ! Heureusement, nous avons la chance d’avoir en Mayenne un réseau très solidaire : beaucoup de structures culturelles, quand cela était possible, ont proposé des solutions d’embauche aux techniciens et artistes, ce qui a permis de maintenir un lien et aussi des heures qui comptent pour notre intermittence. C’est un soutien vraiment précieux.
Je suis intermittent depuis 2012. Concrètement, c’est un régime spécifique d’assurance chômage, renouvelable tous les ans, qui concerne des personnes relevant du domaine artistique ou audiovisuel, et qui enchaînent des contrats courts avec de multiples employeurs. Il permet de bénéficier – jusqu’à une certaine limite – d’indemnités chômage les jours non travaillés. Pour y prétendre, on doit effectuer, pour un technicien par exemple, 507 heures de travail déclarées sur 12 mois.
Clairement, on ne pourra pas compenser en 2021 toutes les heures non réalisées en 2020. Le dispositif d’ « année blanche », annoncé par le gouvernement, devrait permettre une prolongation de nos droits à l’intermittence jusqu’en août 2021. C’était la solution qui s’imposait, la plus simple et la plus juste. Ça rassure un peu !
Certains commencent à travailler sur « l’après ». Parmi les « solutions » évoquées : marquages au sol, distance d’un mètre entre chaque personne en salle et sur scène, masque obligatoire, désinfection du matériel… Bref, une logistique hyper complexe et contraignante à mettre en place. En salle, les jauges pourraient être divisées par 4 ou 5. C’est le plus angoissant tant qu’il n’y a pas de protocole officiel : ne pas savoir quand on reprendra et dans quelles conditions. »

 

© Simon Arcache

Nicolas Boisnard, chanteur (Archimède)

« Pour un artiste, être privé de scène, c’est quand même un comble »

« J’ai vécu ce confinement comme pas mal de gens, j’imagine : avec des hauts et des bas. Il y a des jours où j’ai réussi à abattre beaucoup de travail, et d’autres où, faute d’horizons, j’ai baissé un peu les bras. D’ordinaire, ce n’est déjà pas facile de travailler solo… Surtout que le plus souvent, je trouve l’inspiration et je travaille en marchant. Je n’écris pas derrière un bureau, assis à une table de travail. J’écris en me promenant, autant dire qu’avec le confinement, j’ai subi une double peine.
Économiquement, ça fragilise, c’est sûr. Nous avions avec Archimède une vingtaine de concerts cet été, qui n’auront pas lieu. Heureusement, la plupart sont reportés à l’automne (on croise les doigts !) ou plus tard selon ce qu’il sera permis d’envisager. En attendant, les cachets ne rentrent pas, les droits d’auteur sont en berne… Comme beaucoup, j’espère que la promesse de l’année blanche sera tenue, étant donné qu’il nous est absolument impossible de travailler et d’obtenir des heures comptant pour l’intermittence. Mais je ne suis pas le plus à plaindre, nous n’avons pas de charges fixes, de salariés à payer, etc.
Au-delà de l’aspect économique, c’est aussi difficile socialement : imaginez un ébéniste qui n’aurait plus de bois à travailler ! Pour un artiste, être privé de scène, c’est quand même un comble.
Une de mes modestes contributions fut de proposer chaque soir sur ma page Facebook un petit texte, une pensée ou un aphorisme, sur l’actualité ou pas. C’est un petit rendez-vous que j’ai voulu instaurer avec la communauté. Les Facebook live, ça m’ennuie, j’ai besoin d’un public, de visages. J’ai aussi réussi à écrire et créer pendant cette période, mais il est encore un peu tôt pour en causer. En tout cas, surtout pas de chanson sur le Covid ou le confinement, je pense qu’on va en bouffer assez comme ça ! »

 

© André Lemaitre

Magali Grégoire, chanteuse

« Envisager notre métier différemment »

« Le 20 février, nous avions présenté notre nouveau spectacle et album, Sur le fil, avec Michaël Cavalier. Nous étions donc en plein démarchage pour le jouer. J’étais engagée aussi sur deux projets conséquents de médiation culturelle auprès du jeune public, en plus de mes ateliers « bébés musique » et du groupe féminin que j’anime, Les Meufs in. Petit à petit, tout s’est envolé, au moins jusqu’à cet été : près d’une centaine d’heures d’intervention et une vingtaine de concerts annulés.
Les premiers jours de confinement, même si ne j’ai pas échappé à la sidération qui nous a tous frappés, j’étais plutôt confiante. J’ai vraiment pris la mesure de la situation lors de la seconde allocution d’Emmanuel Macron, notamment parce que le cas des artistes et intermittents n’était pas du tout évoqué. J’ai réalisé aussi que je n’étais pas complètement sereine quand j’ai vu que les mots ne venaient pas. L’inspiration musicale était là, mais je ne parvenais pas à écrire.
Assez vite, à l’initiative de Vincent Ruche et Lise Moulin, s’est mise en place la plateforme Les Bouffées d’art. J’ai tout de suite accepté de rejoindre l’aventure, belle preuve d’énergie collective et de créativité. On s’est aperçus que c’était autant pour le public que pour nous qu’on s’y était engagés : on en avait besoin. Cela nous mobilise en tant qu’artistes, comme un vrai concert, avec la concentration, le trac. Il y a un véritable échange, les gens nous posent des questions sur notre métier. À raison de deux par jour depuis le début, j’ai dû faire à ce jour une cinquantaine de petits concerts par téléphone.
Pour demain, la seule certitude, c’est que l’on va devoir envisager notre métier différemment. Il va peut-être falloir inventer de nouveaux types et lieux de diffusion, se recentrer sur des plus petites jauges… Il faut prendre le temps d’y réfléchir. Les inquiétudes et les doutes sont là bien sûr, mais des alternatives vont émerger, j’ai confiance. »

 

Ãnanda Safo, réalisatrice

« Comment se serait déroulé le confinement sans musique, livres, séries ou films ? »

« Le confinement débutait quand j’ai commencé à développer les symptômes du virus. Je revenais d’une résidence d’écriture dans le Grand Est pour mon projet de long métrage. La résonnance a été très forte. Je l’ai vécu de l’intérieur, tout en devant protéger les autres : je n’ai pu récupérer mon fils qu’un mois plus tard. Tout cela m’a un peu chamboulée, forcément.
Aujourd’hui, tous les ateliers cinéma en milieu scolaire que je menais sont stoppés nets. Je n’ai donc plus aucun salaire « alimentaire » depuis mars. Le métier d’auteure-réalisatrice est constitué de périodes travaillées non rémunérées (recherches, écriture), de moments où vous pouvez percevoir des droits d’auteur (réécriture, développement) et de périodes rémunérées (tournages par exemple). Avec une temporalité très lente pour mener un film, de l’écriture à sa concrétisation. En temps normal, c’est déjà complexe d’en vivre, et de mener un projet à bien. Mais lorsque tout s’arrête, cela devient vite chaotique.
À long terme, tout est en questionnement. Le film documentaire sur lequel je travaille depuis quatre ans est à l’arrêt. J’ignore s’il pourra reprendre et sous quelle forme. Nous sommes face à des limites très complexes. Comment imaginer tourner un film en respectant les gestes barrières et la distanciation physique ?
Le secteur cinématographique se retrouve dans une grande fragilité. Nous sommes bourrés de volonté, de créativité et de ressources… Mais rien ne pourra se faire sans volonté politique, sans soutien du public, sans solidarité. On oublie souvent que le cinéma, et plus largement la culture, est un secteur au poids économique conséquent. Et pourtant, nous ne sommes pas toujours considérés comme essentiels. Mais essayez d’imaginer : comment se serait déroulé le confinement sans musique, livres, séries ou films ? Derrière ces œuvres, il ne faut jamais oublier qu’il y a des créateurs. »

 

David Drouard, danseur et chorégraphe (compagnie DADR)

« Réagir vite pour continuer à exister »

« Le samedi 14 mars, j’étais en résidence pour finaliser ma nouvelle création, MU : ce devait être le dernier jour de répétition avant de partir en tournée. À 14h, nous finissions la répétition générale, à 16h tout le monde repartait chez soi en vue du confinement.
Le recueillement des premières semaines a laissé place aux doutes quant à notre avenir. Lorsque vous êtes privé de contact physique et social, d’espace, de nature, le temps peut se vivre comme un supplice. Les seules évasions possibles : les rêves, les livres et nos écrans. Un triste sort pour nos corps libres, d’habitude en mouvement permanent !
Le milieu de la danse a vite rivalisé de créativité en ligne : des live Instagram, des cours de danse, des spectacles entiers en streaming… Bien sûr, la danse sur les réseaux sociaux ou toute autre forme virtuelle ne pourra pas remplacer l’alchimie du « faire » ensemble. Avant toute reprise, il faut se poser d’abord la question de la protection des danseurs et danseuses, qui ne pourront pas éviter d’être en contact, de transpirer, d’avoir des respirations exaltées… Et dans le même temps, il semble inconcevable d’envisager des spectacles de danse ou de théâtre avec des interprètes à trois mètres les uns des autres, masqués et gantés.
Notre souci, en tant que compagnie, c’est aussi le soutien de nos jeunes interprètes danseurs, qui pour certains devaient accéder pour la première fois à l’intermittence.
Certaines dates de notre nouveau spectacle sont reportées à l’automne, de nombreuses actions d’éducation artistique ont du être annulées. C’est de toute façon un vide complet de cinq mois qui s’annonce pour la compagnie. Il va falloir réagir vite pour continuer à exister, à se produire, sans doute avec des propositions différentes. Pourquoi ne pas occuper des lieux de patrimoine, des parcs, des cours d’établissement scolaire ? Tout reste à réinventer. »