Toutes les harpes qui sortent de son atelier sont uniques. Visite chez Sylvestre Charbin, biologiste cellulaire de formation que le hasard (un peu) et le goût pour le travail du bois (surtout) ont fait changer de voie.

Elles se nomment ­Maëlouan, ­Gwenaëlle ou encore ­Tuala. Autant de prénoms bretons choisis pour baptiser des harpes celtiques avec lesquelles leur géniteur, ­Sylvestre Charbin, entretient une relation quasi paternelle. Le luthier autodidacte a posé ses ciseaux à bois en 2017 dans la campagne vallonnée de la Haute-Mayenne où il prend le temps de donner naissance à sept à huit harpes par an.
Derrière ses larges lunettes, les yeux de ce Lyonnais d’origine, d’un naturel timide et plutôt taiseux, s’illuminent dès qu’il évoque sa matière première : le bois. Car Sylvestre maîtrise toute la chaîne de fabrication de ses instruments. Ses harpes démarrent à l’état de planches brutes de scierie : épicéa, merisier, noyer, autant d’essences choisies pour leur aspect mais aussi leurs aptitudes. « J’adore travailler le bois, j’apprécie tout particulièrement cette matière. Son toucher, son odeur. On peut tout faire avec du bois. Je m’appelle Sylvestre, ça vient peut-être de là !? Tout petit, je piquais les limes de mon père mécanicien pour travailler des petits bouts de bois. J’aurais pu faire des meubles mais ces objets m’ennuient profondément. Alors que l’instrument de musique, c’est l’outil du musicien. Faire naître cet outil et l’entendre jouer, c’est un plaisir incomparable. »
Pour essayer les harpes de Sylvestre, il faut traverser les hautes forêts du géoparc Normandie-Maine et pousser jusqu’au pied des Alpes Mancelles, à la confluence de la Mayenne, de l’Orne et de la Sarthe. Pour ne pas rater la bâtisse en cours de rénovation, il faut ensuite rouler au pas dans le petit village de ­Champfrémont, car rien ne signale la présence de l’artisan. « Je suis arrivé en Mayenne un peu par la force des choses. Ma femme faisait ses études d’institutrice à Laval et elle a été affectée pour son premier poste à Boulay-les-Ifs, pas très loin d’ici. »

 

Sylvestre Charbin, luthier, fabrique des harpes celtiques à Champfrémont dans le nord de la Mayenne © Photo: Arnaud Roiné

© Arnaud Roiné

Du labo à l’atelier

Avec sa maîtrise de biologie cellulaire obtenue en Bretagne, ­Sylvestre tente de trouver du travail dans la région mais sans succès. La passion de la musique et des instruments fait déjà partie de sa vie : « J’ai d’abord joué des instruments à vent et un peu de guitare. J’aime beaucoup ça mais je ne suis pas un grand musicien. Aujourd’hui, je joue de beaucoup d’autres instruments, je les collectionne, j’en ai une centaine à la maison. »
Il finit par trouver un poste dans une association au Mans qui mène des actions pédagogiques autours des musiques du monde. Adieu les laboratoires auxquels il se destinait, pour ­Sylvestre, ce sera l’odeur du bois et la poussière des ateliers de lutherie. « Dans cette association, j’ai intégré une section de muséographie, on faisait des expositions, on restaurait des instruments. J’organisais des stages de fabrication d’instruments pour les enfants. C’est là que j’ai fabriqué ma première harpe. »
Pendant les dix-huit années qu’il passera dans cette structure, le Mayennais d’adoption va apprendre et parfaire tous les ­savoir-faire essentiels à sa vie professionnelle actuelle. D’abord, il réalise que la conception complète d’un « outil musical » est à sa portée : « C’est à ce moment-là que je fabrique ma première guitare, que j’utilise toujours aujourd’hui ». Il y fait aussi la découverte de centaines d’instruments du monde entier qui vont constituer un catalogue mental de technologies et d’astuces dans lequel il va aujourd’hui puiser pour proposer des modifications à ses instruments, au plus près des besoins du futur utilisateur.

Neuf mois ferme

C’est surtout au cours de cette expérience professionnelle qu’il prend conscience de son attrait pour la harpe celtique : « ­J’aimais la musique celtique et je trouvais la harpe très belle. Sa forme, sa musicalité me séduisaient. J’ai acheté des bouquins, j’ai pris des mesures sur la harpe d’une copine. En testant, au fur et à mesure, je me suis rendu compte que c’était possible, j’étais capable d’en fabriquer une. J’ai alors proposé mes services aux Rencontres de harpes celtiques de Dinan. Sceptiques au départ, les organisateurs ont tenté l’expérience et, depuis plus de dix ans maintenant, mon stage de fabrication de harpes ne désemplit pas. »
C’est son licenciement qui a finalement lancé la nouvelle vie de ­Sylvestre. Le choix de la harpe celtique s’est alors ­imposé, par goût mais aussi par pragmatisme. « Il n’y a pas de facteur de harpes dans le secteur. Les plus proches d’ici sont en Bretagne. Si vous regardez vers l’est, il n’y a personne entre la Belgique et la Bretagne. C’était une bonne raison pour choisir cet instrument. Le second argument, c’est le lien que j’entretiens avec les Rencontres de harpes celtiques de ­Dinan. J’y ai tissé un réseau de facteurs mais surtout de clients potentiels grâce à mes stages. » Dorénavant, ­Sylvestre trouve un équilibre financier entre ses commandes, ses stages et quelques heures d’enseignement à l’Itemm du Mans.
Dans la solitude de son tout petit atelier, à l’arrière de sa maison, Sylvestre se mue en artiste quand il s’agit d’apporter une touche finale à ses créations. Une tête de loup finement sculptée à la proue d’une harpe, des filets de marqueterie ou des incrustations de nacres qui dessinent de petits chefs d’œuvre souvent ésotériques. « C’est la force de l’artisanat, chaque harpe peut être personnalisée à l’extrême. Quand je fabrique un instrument, je le fabrique sur mesure pour quelqu’un. Il faut prendre le temps d’écouter, de proposer. J’ai besoin de neuf mois avant de livrer une harpe. Je crois qu’on peut parler de gestation. »

 

Sylvestre Charbin, luthier, fabrique des harpes celtiques à Champfrémont dans le nord de la Mayenne. © Arnaud Roiné

© Arnaud Roiné

Fines lames
Lorsqu’on le rencontre en 2016 dans son atelier, rue Alexandre-Fournier à Château-Gontier, Clément Guais a la sourire. Cinq ans après son installation, son carnet de commandes est plein pour une année. S’il répare à l’occasion des accordéons chromatiques, le facteur ne fabrique que des accordéons diatoniques, petits instruments à lames qui produisent une note différente selon qu’on tire ou pousse leur soufflet. Sa gamme d’instruments, une dizaine de modèles qu’il vend entre 2 500 et 5 000 euros, a su séduire le petit monde des musiciens folk et trad en France mais aussi en Belgique, en Angleterre ou au Canada.
Aujourd’hui, l’agenda de ce trentenaire barbu affiche toujours complet, d’autant que le confinement a retardé la fabrication, et que son frère (et ex-associé) a quitté l’atelier pour devenir ébéniste-charpentier.
Malgré ce calendrier serré, Clément espère pouvoir bientôt se dégager quelques mois pour plancher sur de nouveaux modèles. « J’ai plein d’idées en tête. Ce qui est sûr, c’est que j’irai vers plus de simplicité, d’épure… Plutôt que la déco, je souhaite privilégier le plaisir du jeu et la qualité du son. »

 

Article paru dans le dossier « Dans l’atelier des luthiers » du numéro 69 du magazine Tranzistor.